Un texte de Clara Muller, écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture « Ecrire l’art, ou mon musée idéal » d’Aleph-Ecriture animé par Françoise Khoury.
Edvard Munch, Sans titre (esquisse), n.d.
C’est une page de carnet, à peine griffonnée de noir. Ce sont des tirets de couleurs primaires, vite appliqués. C’est au loin la lisière d’une forêt, et dans le ciel un grand soleil dont les rayons touchent et réchauffent tout ce qui existe sur et sous la terre. C’est un arbre enraciné dans les os d’un squelette alangui, un soupçon de vert à ses feuilles. Et contre cet arbre une femme nue, le regard tourné vers l’astre, la main sur son ventre rond, la silhouette à peine ébauchée d’un enfant à ses pieds.
Munch parle de la terreur et du désir de vivre. Plein de l’intensité de l’être au monde, il matérialise dans ses œuvres peintes les sinuosités d’une âme emplie de tourments. Ici, le dessin lui-même donne l’idée de l’urgence du geste poursuivant l’intuition. Le mouvement fond les figures, les formes et les couleurs, irradiées par la lumière presque palpable qui les traverse.
À rebours des conceptions religieuses d’une vie éternelle désincarnée dans l’au-delà, le peintre chante le recommencement de la vie dans sa réalité la plus organique. Les corps, comme les feuilles mortes, donneront naissance à d’autres corps. L’arbre y germera et ses feuilles dévoreront le soleil, et ses fruits délivreront aux vivants leur nectar, et ses branches abriteront les amoureux et les vieillards. Et des crânes oubliés naîtront des fleurs à glaner.
Cette pensée, dans la froide réalité, est pleine d’une horreur insoutenable. Les êtres que nous avons aimés, que nous avons enterrés, comment pouvons-nous un seul instant endurer cette image d’eux ? Il n’y a là qu’une matière pour les cauchemars… Pourtant, cette même pensée, passée par la main de l’artiste, semble soudain d’un étonnant réconfort. Tout à coup, même au plus incroyant, pour qui le ciel n’est rien d’autre que le ciel, se révèle dans une beauté nouvelle, l’idée de l’immortalité. La terre n’est plus le tombeau mais la couveuse, d’où jaillissent, de ceux que nous avons aimé, ceux que nous aimerons.
Clara Muller