Un texte de Claire Lamarque, écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture « Ecrire l’art, ou mon musée idéal » d’Aleph-Ecriture animé par Françoise Khoury.
Qui regarde Max ?
C’est un portrait, une huile sur bois de la taille d’une feuille A4, un portrait ou plutôt un visage comme un masque, ovale jaune orangé, sur un fond brun. Comme s’il avait été fixé, épinglé, il n’y a ni corps, ni cou, ni cheveux, ni oreilles, un masque ovale un peu en forme de crane sur lequel est esquissé un visage. Un visage, donc deux yeux verts de faunes ou d’elfe, surmontés de sourcils relevés, un long nez un peu busqué, légèrement de profil quand le visage est de face, la bouche enfin qui n’est qu’un trait retombant légèrement vers le bas, comme si l’humeur du personnage révélée par ce rictus, oscillait entre tristesse et ironie, en dessous le menton est affiné presque pointu. Un faune vous dis-je, un esprit réduit à quelques traits, à la fois de face et de profil et laissant percevoir l’humour ironique du modèle. Vous ai-je dévoilé le style de ce portrait ? Comme vous l’aviez certainement deviné, il est cubiste, bien sûr et cubiste de Montmartre, on devine la patte de la bande du bateau lavoir.
D’ailleurs le commissaire de l’exposition « le Paris de la modernité, 1905-1925 » dans une démarche didactique l’a placé entre une esquisse pour « les demoiselles d’Avignon » et un magnifique masque africain dont on sait à quel point ils ont influencé la naissance du cubisme. Cubiste, donc oui oui , de Montmartre mais pas de Picasso, ni de Georges Braque non, celle qui a peint ce masque-visage réduit à l’essentiel, à l’os, c’est Marie Laurencin, qui a décidé en 1908 de s’inspirer du style de ses camarades pour esquisser ce portrait de Max Jacob. Dans un style qui lui était inhabituel, Elle a peint ce portrait, qui représente l’une des personnalités du bateau lavoir, Max le poète juif breton un peu fou qui amusait ses camarades par ses excès, ses parodies, ses dons de devin, par un humour désabusé qui dissimulait son angoisse, Max le bon camarade de Picasso, d’Apollinaire, et peut être de Marie.
Ce portrait nous regarde, et nous le regardons, nous demandant ce qu’il y a de prémonitoire dans ses yeux gais et cette bouche triste et résignée, captée par le regard de Marie, et nous vient alors accablante l’intuition que le visage épinglé, pourrait aussi faire penser à un masque mortuaire. Et nous regardons Max.
Portrait de Max Jacob (1908), Marie Laurencin : Paris, 1883