Ci-gît Dieu
Dieu me parle tous les matins entre 8 heures et 10 heures. En toute simplicité, à cœur ouvert. C’est comme ça que ça marche et je peux dire que cela me ravit. Ces rendez-vous, je les attends fébrilement. Il a tant de choses à me raconter !
Il faut dire que sa vie n’est pas de tout repos et qu’il a une fâcheuse tendance à porter la souffrance du monde sur ses épaules, qu’il a larges et carrées d’ailleurs. Un détail qui m’a frappée et qui me semble significatif, allez savoir pourquoi. Nos séances ont commencé il y a deux ans, à la suite d’une grave dépression. Il disait ne pas supporter la mort de son fils, de sa vie sacrifiée au nom d’une cause qu’il jugeait insensée, pour ne pas dire folle. Il ne prononçait jamais ce mot –fou -, et pourtant je n’entendais que cela, un mot qui le tétanisait et troublait son sommeil et même sa vision de la vie, secouée par les délires mystiques de sa femme et de son fils, mort à 33 ans dans des circonstances tragiques. Il était impétueux et orageux, bagarreur aussi. Peu à peu il a retrouvé le sens de l’humour, teinté d’une ironie fine. De la dentelle.
J’avais souvent le sourire aux lèvres et je m’accordais cette liberté, même si cela dérogeait à la règle. Il m’en savait gré, à sa façon, un peu pataude et raide. Ses rêves étaient déroutants, j’avais du mal à le suivre, d’autant qu’il se livrait parfois à des hypothèses que je trouvais échevelées et qui n’avaient qu’un objectif : me séduire. Je ne suis pas dupe : cela fait partie du processus. Et pourtant, je peux bien me l’avouer, j’éprouve un sentiment un peu trouble à chaque fois que je le regarde sans qu’il me voie, allongé sur le divan, tous les jours entre huit heures et dix heures.
Sarah Leseine