Chantal Van Mulders « Décision », Viviane Clément « Coup de cœur »

Ces textes ont été écrits sur une proposition d’écriture de Sylvie Neron-Bancel à partir de L’enfant dans le taxi, de Sylvain Prudhomme. Ils figurent parmi les huit textes sélectionnés.
Chantal Van Mulders

Décision

A présent, la chaleur tant attendue nous accable, le short colle à la peau, les ronces raturent nos jambes. Le souffle court d’Élise dans mon dos s’amplifie. A l’angle de la sente qui plonge vers les sapins, je me retourne. Son sourire éclate, j’ai envie de pleurer de joie.

Éviter villages et commerces ne suffit plus. Dans la moindre maisonnette on entend une télévision et les enfants qui se volatilisent font, en un instant, la une des infos. Ma petite sœur a soif. Nos gourdes sont à sec. L’air se remplit de coassements, des espions noirs et malveillants nous encerclent.  Sa main dans la mienne, nous dévalons la pente tels des cabris affolés.

Le jour rétrécit dès les premiers pas dans la forêt. L’odeur de résine s’enroule autour de nous. Les cimes des pins tutoient le ciel. Nous progressons un temps infini sur un tapis d’aiguilles quand enfin, le joli bruit de l’eau jaillit. Nos mains se tendent vers le minuscule ruisseau qui, comme nous, courre vers la lumière.

Maman habite au Sud, au-delà de la prochaine colline ou la suivante, je ne sais plus vraiment.

D’après le juge, elle ne peut pas nous garder pour l’instant. Mais l’instant dure depuis des mois et Élise a trop pleuré.

Bien-sûr, des objets lui échappent à notre maman puis se fracassent, elle perd ses chaussures,  oublie de nous amener à l’école. Mais si le juge connaissait les doigts de Maman dans nos boucles, sa voix claire, et l’arrondi de ses bras quand elle nous embrasse, il n’aurait pu que dire : mais bien-sûr les filles, courez-y !


Viviane Clément
Coup de cœur  

C’est une vaste pièce accueillante. Les meubles ont été poussés contre les murs laissant au centre une belle piste pour danser. Les grands rideaux flottent contre les fenêtres, frôlent les  lilas en fleurs et reflètent les lumières de la fête . 

C’est là que je me tiens, presque cachée, discrète observatrice de ta fête d’anniversaire. Tu as revêtu ta robe rouge, celle que je préfère. Nous l’avions choisie ensemble blotties dans la cabine d’essayage dans un fouillis de couleurs et de matières partageant un fou rire irrépressible devant la mine revêche de la vendeuse. 

 Là, tout de suite, tu as l’air heureuse, tu souris, tu embrasses , tu accueilles tes invités avec chaleur. Pourtant je revois encore ton air sombre, tes yeux pleins de larmes , ton incompréhension et tes doutes. Pour toi tout est si simple ! Tu vis au grand jour, tu ne triches pas. Cette assurance que tu as trouvée au sein d’une famille aimante et respectueuse me fait cruellement défaut. 

C’est tellement différent pour moi. Regarde déjà où je me tiens ! Cachée dans la pénombre des rideaux , tout près de la porte-fenêtre d’où je pourrais m’enfuir si besoin ! 

J’ai mis ma robe bleue ou verte c’est selon, elle glisse sur mon corps jusqu’à mes pieds . C’est celle que tu appelles l’inaperçue !!  

Te voilà au centre de la pièce invitant les autres à te rejoindre. Mais ton regard s’égare et je vois bien que tu me cherches. Nos yeux se croisent.  

Tu attends.  

Il est temps.  

Je traverse la pièce. Les autres me regardent mais je ne vois que toi. Je prends ton visage entre mes mains. Tes cheveux glissent entre mes doigts. Tes  yeux sont  si proches que je vois des étincelles couleur noisette briller dans la lumière. 

Tu me  souris. J’embrasse ton sourire. 

Sous le lustre de cristal, dans la douceur de l’été, dans le parfum des lilas, j’ai osé. 

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