« C’est un fleuve » et « Détails d’une scène ordinaire »

Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de «Paris-Briançon » de Philippe Besson. Merci à tous de votre participation ! Parmi les 10 textes sélectionnés, voici celui de Liliane Vannier et Ghislaine Signargout.
Ghislaine Signargout

C’est un fleuve

C’est un fleuve gris qui serpente doucement après l’écluse. Sous la surface, le courant se déchaîne, enfonçant dans la vase des trottinettes, quelques carpes et une pagaie d’aviron. De grosses péniches glissent sous l’autoroute, au ronflement permanent de véhicules pressés. Des cyclistes empruntent la Via Rhona, verte encore et déjà jaune. Au loin, les collines du Pilat forment un camaïeu de couleurs d’automne, ses vignobles chatoyant dans les rais du soleil couchant.

C’est la ville qui se profile, avec son belvédère, son théâtre antique où résonne encore le jazz du festival. La passerelle enjambe le Rhône et rejoint le cours fleuri qui monte vers le centre ancien. Dans le jardin de ville, les arbres centenaires dominent les toits bruns.

Ce sont les embouteillages du soir, une mère au volant d’un monospace qui interpelle sa fille adolescente, une camionnette qui déborde de matériel taché de peinture blanche.

Au bar sous les platanes, c’est un groupe de touristes américains aux casquettes assorties et un homme qui dévisage une jolie rousse dont le foulard danse dans le vent. C’est un groupe de femmes qui paie leurs consommations et qui se lève.

C’est une autre avenue qui mène au centre ancien, un terre-plein central, des enfants qui courent, un chien en laisse qui sniffe un arbre, un serveur qui dispose des verres pour le service du soir, un homme qui attend sa femme, un petit bouquet à la main.

C’est l’hôtel de la Poste où l’on accède par quelques marches, sa directrice au sourire familial. Ce sont les papiers peints imprimés de vintage moderne, les fauteuils chics et dépareillés, l’agréable désordre d’objets chinés, un gramophone, une machine à écrire aux touches étroites. Ce sont les participants qui s’installent sur les chaises tapissées de bleu canard dans un léger brouhaha. Ce sont les deux libraires élégantes complices déjà avec l’auteur dont le  portrait trône dans le hall.

Et c’est son livre, posé en évidence sur la table.

G.S.

Liliane Vannier

Détails d’une scène ordinaire

Il y a un long serpentin de personnes, emmitouflées, qui marchent au ralenti.

Cette année l’hiver est mordant à la campagne. L’ambiance est au recueillement, l’air glacé est chargé de soupirs et de sanglots retenus.

Il y a dans ces allées plantées d’arbres parfois centenaires, des stèles à n’en plus finir, de toutes tailles, dans des tons dominants de gris, parfois noirs. À cette période, les chênes exhibent leur nudité silencieuse et tendent vers le ciel leurs bras noueux.

Il y a des murmures, des accolades, des mains dans des gants en cuir sombre.

Il y a devant eux, un corbillard qui roule au pas. Il est noir et ne fait pas de bruit, à peine un ronronnement familier. Des agents des pompes funèbres marchent en cadence, l’air sévère et la tête vers le sol en gravier. Ça crisse sous leurs pieds.

Il y a des questions qui se forment, des idées saugrenues pour déjouer le chagrin. Cette femme qui se dit que des pompes ou des chaussures funèbres, c’est du pareil au même, ça fait mal.

Il n’ y a pas d’oiseaux pour piailler ce jour-là, ni douceur ni chaleur. La lumière de janvier étale sa pâleur sur les toits du cimetière. Le cortège a fini d’avancer et regarde s’affairer les hommes en costume.

 Il y a des hoquets, des fleurs en bouquet et d’autres que l’on jette dans le trou. Des regards perdus, des regards émus.

Des trémolos dans les voix.

Il y a le bruit mat de la terre recouvrant le cercueil.

Soudain, il y a une éclaircie. Alors les têtes se tournent vers le ciel comme pour respirer à nouveau, se consoler au rayon de vie.

L.V.