Caroline Pochon est scénariste et écrivain. Depuis sa formation à la Fémis elle circule entre différentes approches de l’écriture : du scénario au livre, en passant par les documentaires qu’elle a réalisés et les adaptations de ses livres. Elle animera à partir du 6 février la formation « Scénario » à Aleph-écriture sur 6 week-ends. Nous l’avons rencontrée pour mieux connaître son parcours.
Inventoire : Après Sciences-Po et des études d’histoire, vous intégrez la Fémis section scénario. Comment s’est passé le déclic, et pourquoi avoir voulu devenir scénariste ?
Caroline Pochon : C’est une question qui me renvoie à mes choix d’origine. J’étais toujours tiraillée entre mon côté sérieuse et bonne élève, qui m’a conduit à faire Sciences Po, des études humanistes, et mon côté artiste, créatif. Mon ami de lycée était un grand cinéphile et m’a beaucoup influencée. Quand je l’ai vu entrer à la Fémis, cela m’a fait tellement envie ! J’aimais écrire, je voulais gagner ma vie avec ma plume, je savais que le roman ne faisait pas vivre et l’académie m’ennuyait. Alors, j’ai pensé que scénariste serait un métier pour moi.
J’avais joué comme comédienne dans le film Conseil de famille de Costa Gavras à l’âge de quinze ans, une expérience marquante. C’est une époque où j’allais voir des films d’auteur à la Pagode avec ma mère ou mes amis et j’ai beaucoup de souvenirs forts de films vus à cette époque.
Après La Fémis, comment vous êtes-vous orientée dans ce métier vis-à-vis des producteurs ou réalisateurs ? Avez-vous dû choisir entre la série et le film, et dans quel domaine êtes-vous le plus à l’aise ?
Pendant la Fémis, c’était un peu difficile pour nous. La plupart des élèves réalisateurs voulaient écrire eux-mêmes. La glace s’est dégelée peu à peu car on est restés presque quatre ans ensemble. À cette époque, on pouvait entrer comme lectrice dans des sociétés de production, c’était le job typique des étudiants de la Fémis pour commencer. J’ai bossé pour une société de production, puis suis entrée comme lectrice dans des chaînes de télévision privées. J’écrivais en parallèle et essayais de me constituer un réseau.
Chez les lecteurs, les uns devenaient conseillers de programme pour la télévision, les autres scénaristes. Je me suis plutôt retrouvée du côté de la chaîne et de la production. Par ailleurs, je travaillais comme scénariste pour le cinéma. Finalement, ce qui m’a réconciliée avec toutes ces contradictions entre télévision et cinéma, entre Sciences Po et la Fémis, c’est le documentaire. C’est encore une autre écriture, dans laquelle on utilise les sciences sociales, mais aussi la créativité.
J’ai enchaîné ensuite plusieurs documentaires et rejoint la télévision, en faisant des documentaires avec Arte durant une quinzaine d’années. J’avais toujours le temps, entre deux films, de développer plusieurs autres projets avec d’autres et en écrivant pour les autres. J’ai aimé cette diversité. Mais on est toujours un peu sur le fil du rasoir dans ces métiers.
Qu’est-ce que permet l’écriture d’un scénario que ne permet pas l’écriture d’un livre ? Plus particulièrement quelle différence y-a-t-il pour vous entre écrire un livre et un scénario ?
Écrire un livre, c’est écrire seule. Donc, c’est un espace de liberté, par opposition à la création financée (que ce soit par l’État ou par des chaînes de télévision), où il y aura toujours un cadre plus ou moins strict à respecter, des normes narratives, une ligne éditoriale, une censure même parfois, et tout un monde qui s’implique avec vous sur le film, avec des rapports de pouvoir qui pèsent parfois lourdement sur l’auteur.
En scénario, j’ai connu diverses configurations et j’aime beaucoup cette variété de collaboration, tout en me disant qu’on a plusieurs collaborations en cours donc on ne se retrouve jamais enfermé dans une relation trop longtemps, en principe.
Chaque collaboration est unique en cinéma et c’est ce que j’aime de ce métier très artisanal.
Un jour, j’ai écrit avec un réalisateur dont le premier court-métrage venait d’avoir un prix éminent et je me suis rendue compte que cette personne savait à peine écrire. Pourtant, il savait très bien ce qu’il voulait et il maîtrisait son histoire. Une autre, au contraire, ne voulait pas que je touche à son texte. D’autres fois, on se retrouve à deux sur l’écriture d’une comédie et c’est beaucoup de ping-pong, de discussions et c’est aussi très agréable. Il m’arrive aussi d’écrire seule et de m’entourer de lecteurs ou consultants qui viennent donner un coup de main.
Le roman, je l’ai vu comme un espace de liberté et de solitude. On manie la langue, on lâche peut-être plus la bride à l’écriture.
Un scénario, ce sont des séquences, de l’audio, du visuel et rien d’autre. Tout doit être vu ou entendu. Il faut inventer des solutions pour mettre en scène une situation, pousser les personnages pour que le futur spectateur puisse voir et entendre le chemin intérieur du personnage.
Un tout autre exercice. Avec des allers-retours et des points communs : personnage, décor, dramaturgie, histoire. Même si le support est différent, on est toujours en train de raconter une histoire, en fait.
Qu’aimeriez-vous transmettre en priorité dans votre stage de scénario ? (la structure narrative, le traitement, le synopsis, l’équilibre entre les personnages, etc.) ?
Je dirais que si on doit insister sur quelque chose en dramaturgie, ce n’est pas tant les outils et le langage « pro » de la dramaturgie qui sont importants, mais le personnage, selon moi.
Un de mes maîtres disait que si on a assez bien défini un personnage, avec son caractère, ses failles, son désir, son contexte, il suffit de lancer un événement déclencheur et l’histoire va suivre toute seule. Je travaille beaucoup sur la narration, la dramaturgie, la structure, le storytelling dans les projets sur lesquels j’écris, mais dans le fond, un très bon travail sur le personnage, c’est déjà presque un film. Cela rejoint d’ailleurs le travail d’acteur façon « Actor’s studio », où le comédie se plonge dans toutes les dimensions de son personnage, en particulier son histoire, avant de monter sur le plateau.
Préférez-vous une bonne histoire avec des bons personnages ou une histoire intéressante mais bien écrite. En d’autres termes, préférez-vous l’efficacité narrative ou le film d’auteur ?
Tout le monde préfère une bonne histoire avec de bons personnages ! À mes yeux, l’efficacité narrative n’est pas l’apanage de l’écriture industrielle. Je n’oppose pas les genres forcément, mais je peux identifier la nature du film. Et puis, on sent tout de suite quand il y a un auteur derrière un film. Un regard, une manière de filmer, une intensité, un style, un ton. Mais lorsque David Lynch fait Twin Peaks, c’est une télévision que tous les cinéphiles veulent regarder !
Entre scénaristes, c’est un vrai débat aussi car certains estiment qu’entre télévision et cinéma, ils ne font pas le même métier. Bref, tous ces biais pour dire que les genres ne sont tout de même pas toujours si bien définis que cela.
Vous avez écrit plusieurs livres, deux publiés aux éditions Buchet-Chastel. Avez-vous souhaité adapter ces livres ? Les avez-vous écrits dans cette optique, ou cela est-il arrivé par des rencontres ?
Mes livres qui ont été publiés sont le fruit d’un travail personnel, je dirai un peu une « œuvre au noir », avec une dimension assez pessimiste, comme si l’écriture avait été d’abord pour moi un endroit pour réparer les erreurs, rétablir ma propre vérité.
Comme j’ai toujours aimé écrire, j’ai des journaux intimes et plein de débuts de roman avortés. Comme c’était en partie de l’ordre du dévoilement et de l’impudeur, j’ai eu le trac à chaque fois et j’espère par la suite être capable d’écrire des choses drôles ou qui font rêver, positives. Ces textes, et quelques autres, il fallait que je les écrive. Je n’ai pas écrit dans l’optique d’être adaptée ou même publiée. Mais au bout d’un moment, mon rêve d’être publiée s’est réalisé après un long travail de l’ombre, grâce à une éditrice qui a aimé mon travail.
Mon premier roman est l’adaptation de mon premier documentaire autobiographique, depuis j’ai développé en parallèle l’écriture d’un film de fiction. Mon rêve est de réaliser ce film, mais il a été jusqu’à présent très difficile de trouver des financements. En cela, le livre est plus facile que le cinéma, qui est une industrie et où il faut manœuvrer tellement de paramètres, des égos, des gros sous, un air du temps et tant de choses qu’on ne maîtrise pas.
Et que vous apporte votre pratique d’auteur dans la rédaction d’un scénario ?
Je trouve que c’est plutôt ma maîtrise du scénario qui m’ a apporté dans l’écriture romanesque. Les notions de personnage, de dramaturgie, sont très utiles. Le point de vue, qui est très présent et revendiqué chez Faulkner (qui a été scénariste à Hollywood), est très important dans le cinéma (fiction et documentaire), mais en roman, j’ai parfois l’impression que c’est moins assumé, moins pensé qu’en fiction. Donc, je travaille un roman comme si j’écrivais un scénario.
Structure, évolution du personnage, dénouement. J’aime bien qu’un roman ait ces différents éléments constitutifs.
Aujourd’hui, vous travaillez sur quel type de scénarios ? (films, séries)
Je termine deux documentaires que j’ai produit en dehors des chaines de télévision, à la recherche de la liberté du geste que j’avais eu lors de mes tout premiers travaux.
Au plan du roman, je suis en train d’aboutir un ou deux textes qui « mijotaient » depuis longtemps. Je prends vraiment le temps. Parfois, je laisse reposer six mois et à la lecture, je vois après ce temps dans mon texte ce que je ne voyais pas au moment de le rédiger.
Ce que vous préférez dans l’écriture d’un scénario (le moment où on commence à réfléchir à l’histoire, celui où l’on commence à l’écrire ?)
Je ne suis pas psy, mais ce que j’aime quand je travaille avec un réalisateur, ou une réalisatrice, c’est de l’aider à accoucher de son projet, et de cette part de lui même qu’il a cherché à exprimer; un peu comme une maïeutique, qui n’a en fait rien de technique. J’essaie de l’aider à accoucher de son projet, et de cette part de lui-même qu’il a cherché à exprimer en écrivant.
Je crois qu’on écrit souvent sur des questions dont on cherche encore les réponses.
J’adore quand je commence à comprendre ce qu’il veut dire et pourquoi. Et j’adore quand lui même le comprend, l’assume et va alors au bout. Toute la dramaturgie devient alors un jeu d’enfant !
J’aime aussi beaucoup travailler à deux quand ça se passe bien, et en particulier sur une comédie, parce qu’à chaque fois, j’ai beaucoup ri. Ce que j’aime aussi bien, c’est quand j’ai tout d’un coup une idée et que je me mets à écrire mon premier jet presque sans réfléchir, sentir un texte sortir de moi parce qu’il était mûr.
Au Sénégal, où j’ai créé un atelier d’écriture scénario auprès de jeunes cinéastes sénégalais, j’ai souvent entendu cet adage : « ce qui advient est facile ». Je crois que c’est vrai. Il faut que ce soit mûr, il ne faut pas forcer, il faut rester dans cette élégance et cette sincérité. Parfois, on souffre à écrire. Parfois, on pleure en écrivant. Parfois on est bloqué, à sec. Souvent, on doute. Parfois des propos malveillants font qu’on va jeter notre travail à la poubelle.
L’écriture m’a appris une très grande patience. Mais des fois, aussi, il y a des fulgurances, des moments d’inspiration, des moments où on se sent génial, on a des ailes parce que ça y est, tout s’éclaire, on a trouvé la solution. On a trouvé la fin de notre histoire, on ne doute plus. On a une certitude intérieure qui nous apaise. Ça aussi, c’est toujours un très très bon moment. J’aime aussi, quand même, que la personne avec qui je bosse ou que j’estime trouve enfin mon travail très bien. Que ma certitude intérieure ne soit pas un délire, mais qu’on soit déjà deux. Et on espère, derrière, tant d’autres !
Inventoire : Merci de votre temps Caroline Pochon, nous avons hâte de découvrir votre formation au scénario !
Plus d’informations : Cycle – Scénario du 06 Feb. 2021 au 27 Jun. 2021 à Paris (6 w.-e. – 60 h.)
Crédits photographique Photo de C. Pochon : Jean-Luc Paillé pour Buchet-Chastel (2013)