En juillet dernier, ils sont partis en compagnie de Sylvie Neron-Bancel, pour suivre un stage explorant les champs d’expérience du marcheur, du photographe, du collectionneur et réaliser un carnet de voyage. Les auteurs participants nous ont confié certains textes que nous partageons ici avec vous.
FRAGMENTS, JOURNAUX, CARNETS, POÈMES et HAÏKUS DU CHEMIN DE COMPOSTELLE.
Annick Harel Bellan
Ne cueillez pas les fleurs sauvages
Collerettes jaunes. Taches blanches, violettes.
Elles font envie, n’est-ce pas ?
Mais, si vous les cueillez,
Elles se vengent.
En se fanant presque instantanément.
Elles ne sont belles que dans les champs.
La dernière montée
Sous le soleil brûlant du chemin de Compostelle, on peine à monter la côte, et, à chaque détour, on espère que ce sera la dernière montée.
La dernière montée de Joseph était sous la neige et dans la boue, à la nuit tombante, dans un convoi de prisonniers que des SS faisaient marcher à la trique pour évacuer le camp de Buchenwald. Une vilaine coxalgie avait mangé sa hanche et quelques centimètres de sa jambe droite. Depuis des jours et des jours, il boitait et se trainait péniblement dans le convoi.
Ce soir, il sent sa force de vie le quitter. Il sent qu’il veut rejoindre son père, mort au camp quelques mois plus tôt, et sa mère, gazée à Auschwitz.
Il s’arrête, prêt à se laisser tomber lourdement sur le sol. Un SS s’approche : « Ne t’arrête pas, marche ! » Joseph répond, tout doucement, qu’il ne peut plus. « Marche ! Tu sais bien ce que je dois faire si tu t’arrêtes ! ». Joseph le sait bien.
Le regard du SS est insistant. Avec sa mitraillette, il donne à Joseph, pour le faire repartir, des petits coups dans le dos.
Joseph repart.
En haut de la côte, l’armée russe.
Ma prière de marcheur de Compostelle
J’espère qu’après mon pas, l’herbe se redresse,
Que je ne tue pas les insectes en marchant,
Que je ne brise pas les branches en passant,
Et que, derrière moi, la nature se referme.
Le christ de Campuac
Le christ n’a pas de croix.
Sa tête pend en arrière.
Il n’a pas de regard.
Ses bras sont levés vers le ciel.
Ses mains sont tendues.
Son corps a la maigreur des rescapés d’Auschwitz.
Mais son ombre est immense et s’étend sur la terre.
Trois haïkus d’Annick
Anne-Marie
Rencontre
Des lits à faire. Des serviettes bouchonnées à mettre au sale, à laver, à replier. Ça tout de même, Jean-Claude pourrait l’aider… elle, elle doit encore décongeler les brocolis, couper le roquefort pour le faire fondre.
Et la saison ne fait que commencer. Et Julien qui ne donne pas de nouvelles. Depuis qu’Amandine l’a quitté, il n’a pas le moral. Jean-Claude dit : « Il est grand, c’est sa vie, fiche-lui la paix ! » Facile à dire…
Tiens les derniers clients ont oublié leur gel douche, et un chargeur de téléphone. On risque de les voir revenir. Ceux-là c’étaient pas les pires. Qu’est-ce qu’ils ont tous à marcher comme ça vers le sud comme des moutons? Enfin, tant qu’ils s’arrêtent ici, à la Tour des Pèlerins, y a rien à dire.
Tout de même, Julien et Amandine… quel choc ! Et la petite Iris, est-ce qu’elle va la revoir ? Elle met le clafoutis dans le four.
La charrette sous l’abri
Tout au long du chemin, des engins agricoles semblent abandonnés là en bordure de champs. Des bras de coupe rouillés, des socs de charrue, des roues mystérieuses avec des restes de moyeux de cuivre et des rayons obliques. Un siècle de mécanisation de l’agriculture au début du vingtième siècle, avant la grande Guerre. Les hauts-fourneaux transforment le fer et l’acier en outils révolutionnaires, on y attelle les chevaux, la routine ancestrale et besogneuse est balayée… Le progrès ! On va faire des récoltes abondantes, on ne mourra plus de faim, on ne se cassera plus le dos sur la terre. Le fils convainc le père, les voisins se rapprochent. Un avenir nouveau s’ouvre. Et se referme brutalement au son du canon : les hommes et les chevaux partent à la guerre au moment des moissons.
Est-ce que les engins abandonnés datent de cette époque ? Et puis les moteurs remplacent les chevaux, vive le progrès à nouveau ! Une sorte de marche inexorable, les paysans ont dû regarder d’un œil curieux les premiers originaux qui cherchaient le Chemin de Compostelle… Les lames, les roues, les dents, les engrenages, et même des voitures, ont fini par rouiller là où ils avaient été abandonnés. Et les pèlerins, marcheurs, touristes, se sont multipliés. La grand-mère remet à l’honneur la coupetade et l’aligot pour nourrir cette transhumance.
Et après ? Quel sera le prochain « cycle du hareng » ?
Trois haïkus d’Anne-Marie
Annick Lebras
3 HAÏKUS DU CHEMIN
J’ai perdu la tête Bâton enguirlandé Je clos la marche
Ereinter, épuiser que la marche atteigne le cœur de mon cœur.
« Tu as une belle plume » Dit Lilou en me quittant « Oui, je l’ai trouvée dans la nature. »