Les Carnets de bord sont une pratique de plus en plus prisée par les auteurs en devenir. L’Inventoire a rencontré Sylvie Neron-Bancel, qui, du 8 au 12 juillet 2019 animera à Hyères (Var), « Carnets de bord de mer« .
Ce stage issu de sa pratique de l’écriture et du collage, se déroulera entre promenades, senteurs de pins et clapotis de la mer. Nous lui avons demandé de nous parler de sa conception personnelle du carnet, initiée à l’occasion d’un voyage au Japon.
L’Inventoire : Pourquoi avoir choisi d’animer le stage Carnet de bord de mer, à Hyères?
Sylvie Neron-Bancel : Parce que ce stage initié et conduit par Catherine Berthelard au bord de l’Atlantique n’était pas présent dans le sud de la France. J’ai tout de suite pensé à Hyères (Var).
Depuis dix ans, j’y séjourne régulièrement. J’aime, l’odeur du chèvrefeuille au printemps qui se mêle à l’odeur du café de la place Massillon, la grande plage de l’Almanarre l’été, le matin très tôt, le vent qui s’engouffre dans les ruelles en hiver.
Lorsque je marche dans la vieille ville, je me demande si je ne vais pas me retrouver nez à nez avec Edith Warthon, ou Marie-Laure de Noailles m’invitant à me baigner dans sa belle villa en compagnie de Picasso, de Max Ernst.
Il règne dans cette ville quelque chose de mystérieux, de vraiment inspirant. De nombreux artistes y ont séjourné. Et puis, la mer est là, toute proche, il y a tant à regarder, à sentir, à observer, à photographier, à écrire, à rêver…
Qu’est-ce qu’un participant peut attendre de ce stage ?
Le lieu est important, les participants doivent s’y sentir bien. Il convient de prendre le temps, de vagabonder, de dialoguer avec l’instant présent, de s’émerveiller. Je fais référence au très beau livre de Belinda Cannone, S’émerveiller. « S’émerveiller résulte d’un mouvement intime, d’une disposition intérieure par lesquels le paysage ou l’homme à sa fenêtre deviennent des événements. L’événement survient au présent pur, dans une épiphanie. » Je crois qu’elle résume bien ce que l’on peut faire avec une photographie, avec un texte.
J’avais aussi le désir de travailler avec ma belle-sœur, Laurence Neron-Bancel, collagiste, guide au musée Neuberger et au Whitney à New-York, elle venait d’ouvrir une résidence d’artistes, LM Studio.
Cet été, lorsque nous y serons, du 16 au 20 juillet sera exposé un artiste américain, Sébastien Courty, https://www.sebastiencourty.com/ qui sera en résidence pendant un mois pour travailler la création textile.
Je trouve intéressant de pouvoir discuter avec un artiste en résidence. Le carnet est aussi une création, la matière est importante. Tissu, papier, grains de sable, fleurs, parfum, photographies, peuvent nourrir un carnet, en plus de l’écriture bien sûr.
Comment vous est venue l’idée de ce stage sur les carnets ?
Je les affectionne depuis toujours, ils cohabitent avec mon bazar dans tous mes sacs. J’en ai de toutes sortes, de toutes formes, des camaïeux, les chamarrés, des unis. J’ai découvert à la villa Noailles, un cahier de collages de Marie-Laure de Noailles (scrapbook) qui m’a donné le déclic d’un carnet objet. Je me souviens d’une main d’homme posée à plat sur de la peinture noire, d’un as de pique, d’une écriture, d’un paquet de gauloises écrasé sur le cahier, d’un dessin et d’une écriture… c’était beau, troublant, cela racontait plein d’histoires.
Ce qui me plait dans le carnet c’est qu’il est témoin d’un cheminement, d’une errance, c’est qu’il prend la mesure de tout ce qui nous entoure, dans l’instant présent.
Chez moi, je range les carnets sous une cloche en verre. Un seul est ouvert, sur une étagère de ma bibliothèque.
L’histoire de ce carnet est un peu particulière. En 2011, je suis revenue du Japon avec des carnets remplis de notes, de tickets d’entrée de toutes sortes, des catalogues, des papiers d’emballage, des journaux, etc. J’ai tout rangé dans une boite en carton, en attendant d’avoir du temps pour entreprendre un carnet de voyage. J’ai transféré les photos sur mon ordinateur. Quelque temps plus tard, on a volé mon ordinateur, avec toutes mes photos qui n’étaient ni sur Dropbox, ni sur un cloud à l’époque…. Je me suis retrouvée toute nue, sans rien. Vous imaginez ? Alors l’album photo du Japon, je l’ai laissé de côté un certain temps, mais je savais que j’y reviendrais parce que j’avais écrit des textes. Et qu’ils me plaisaient.
L’été 2016, je me suis replongée dans ces fragments que j’avais écrits et j’ai eu envie de revenir sur ce voyage au Japon. Sans doute étais-je nostalgique. En face des textes écrits, comme je n’avais plus de photos, je voulais des collages, qui racontent ce que j’avais vu, ressenti. Mais pas que cela. Je voulais que les images viennent contredire, dire autre chose, servent de contre point, comme un autre langage.
J’ai commencé par découper dans des journaux rapportés du Japon et dans des magazines de décoration. Ce sont les couleurs qui me guident, je fais des petits tas. Je ne sais pas encore ce que cela va devenir. Je m’intéresse aux formes ensuite. Je positionne, superpose, déchire, j’essaie, défais, essaie encore jusqu’à ce que cela sonne juste, me plaise. Puis je colle. C’est ce que j’aime le moins, j’ai toujours peur de perdre ce que j’ai trouvé.
J’ai appris en regardant ma belle sœur travailler. Dans son local, à Hyères, elle met à la disposition des participantes, un meuble à tiroirs, avec des trésors à l’intérieur. De nombreux magazines provenant d’un peu partout. Elle a beaucoup voyagé.
L’expérience que vous proposez est donc de se saisir de l’instant présent, et d’en faire un carnet matériel, qui dure, qu’on peut relire et sur lequel revenir ?
Le stage que je propose permet aux participants d’être en contact avec la nature, les vieilles pierres, la mer. Les participants écrivent sur les places, lisent leur texte à voix haute dans les jardins, fabriquent leur carnet tout au long de la semaine, à partir de de leurs expériences, de leur état intérieur, de leur cueillette.
Je suggère des pistes de travail, j’observe leur cheminement, je les accompagne. Si le carnet n’est pas fini, ils peuvent le continuer chez eux, ils ont les éléments pour poursuivre. Je souhaite que ce soit un bel objet, un carnet d’artiste, qu’ils aient envie de le regarder, de le relire, de le partager.
… Voici quelques photos prises sur le vif, l’été dernier.
On peut rencontrer dans le parcours des arts, organisé par la ville de Hyères une jeune femme qui tient un atelier « la main de papier », elle fabrique des carnets sur mesure.
Propos recueillis pour l’Inventoire
Sylvie Neron-Bancel animera le stage à Hyères, « Carnets de bord de mer », du 8 au 12 juillet 2019.