Il y a trois semaines, Arlette Mondon-Neycensas vous a proposé d’écrire à partir de Yoga d’Emmanuel Carrère (P.O.L. 2020) sur notre plateforme Teams. Voici deux des textes choisis par notre comité de lecture. Voir la sélection complète ici.
Claude Couliou
Beau à se damner ou à mourir
Claque. Ombre décalquée sur le mur, silhouette à la Pompéi, désynchronisée, affairée dans la tête, défilé de comètes explosives dans un mental en folie, chronique d’un évènement non annoncé. Figée. Rentrer sans penser, conduite désordonnée, automate désarticulé. Préparer une valise, quels objets, poser un truc, en prendre un autre, non, inutile, pas sérieux, risible, comique, nul, aucun raisonnement logique, le cerveau part en vrille, il est grignoté de l’intérieur et le bruit du crabe à l’attaque résonne et fait paniquer. Les mains attrapent, reposent, courent dans la cuisine, les bras tombent, leur poids plombe les doigts qui deviennent inefficaces, oui ne pas oublier, vêtements, papiers ? Plier la chemise, elle refuse, attacher les boutons, ils se rebellent. Joues rouges, la sueur se fait la malle et poisse la peau. Enveloppe de soi déchirée, délogée du corps dédoublé. De l’eau, il faut de l’eau, boire, ouvrir le robinet, pas le temps, se presser, anticiper, dérouler l’inconnu, trébucher sur la chaise, rebondir en se massant le genou, un bleu, pantalon donc pas important, être belle encore un peu, s’apercevoir dans le miroir, scindée en morceaux, pas soi, une autre, un bout de chair qui bouge, tremble, fait n’importe quoi, livré à l’affolement qui déborde de partout. Rassembler, tenter de reconstruire, coller les éclats éparpillés, tisser et recoudre les pensées effilochées pour en présenter un canevas plausible pour agir. Trouver l’issue et quêter la lumière car il fait beau à se damner ou à mourir.
Régine Zeidan
Cuisine en scène
Subitement, étrangement je deviens étanche au flot imperturbable de ses mots.
Il n’y a plus que mes épaules que je sente s’affaisser, descendre si bas en même temps que s’arrondit mon dos.
Un repli.
Toute la forteresse de mon corps, mes os, mes muscles, tout lâche. Les fils que j’avais tendus, ceux auxquels je me tenais agrippée cèdent un à un.
Plus de prise, plus d’espoir. Je ne crois plus en rien.
Ma bouche s’ouvre, étonnée, saisie, en un cri silencieux.
Me voilà en quelques battements de cils incapable, absente alors que je me sentais si près de réussir !
Ma gorge que je sens gonflée est douloureuse, serrée, emplie de mots et de sons qui ne peuvent éclore. Il y a encore plus profond que ma bouche, plus en arrière une obstruction, un empêchement à questionner, à me défendre.
Ecrasée, impuissante et ce sont mes épaules qui les premières m’ont abandonnée.
Le reste a suivi et en dernier ressort, ma main atteint mon front, puis l’autre, mes coudes cherchent en la table un soutien. La toile cirée aux fleurs stylisées, rouges, reçoit l’effondrement de tout mon être.
Et quelque chose craque.
Tout mouillés mes yeux, lavés par les larmes qui arrivent. Coule mon nez, tremble toute ma bouche… Un hoquet puis deux puis trois me poussent, me pressent… Enfin les mots…
Comment vais-je faire ?
Et puis un ton ferme et clair emplit la cuisine, un fil vers lequel je tends et qui me redresse, un regard franc, bleu myosotis
Je comprends votre désarroi me dit-elle.