Sylvie Neron-Bancel va animer le vendredi 15 novembre, à Lyon: Écrire à partir des sculptures de Béatrice Bréchignac, dans les nouveaux locaux d’Aleph. L’occasion pour L’Inventoire de découvrir cette artiste autour de son dernier projet « Elles, ensemble », des sculptures monumentales qui mobilisent notre imaginaire.
Quelle est la période de l’histoire de l’art que vous préférez dans l’art contemporain ?
Les artistes que j’admire sont ceux qui me semblent être allés au bout de leur démarche, de leur recherche. À la fois pour leur ambition technique, leur recherche d’abstraction et leur regard sur le sens des choses. J’aime particulièrement Nicolas de Stäel, Germaine Richier, Giacometti, le Corbusier, Chillida…
Comment est née la genèse de cette exposition ELLES, ENSEMBLE ?
Je me sens très habitée par le fait d’être femme et d’être entourée de femmes. Mère, sœurs, cousines, tantes, amies, collègues, femmes croisées ici et ailleurs… J’en ai connu certaines pour lesquelles j’ai une profonde admiration et j’observe que chacune se nourrit des autres, y puise de la confiance. Je crois que nous avons toutes été construites par des femmes.
J’ai été très touchée par certaines femmes en Amérique du Sud où j’ai vécu longtemps, ce sont des sociétés très matriarcales et pour certaines la vie repose entièrement sur elles. Elles sont admirables de dignité, de force.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que signifie les relations d’affidamento et en quoi cela a influencé votre travail de sculpteur et d’artiste contemporaine ?
Naturellement je sculptais des groupes de personnages car je suis touchée par le fait d’être ensemble et j’aime la puissance de composition du groupe. Je ne me sens pas particulièrement féministe, mais je voulais parler de cette féminité. En recherchant un peu de matière conceptuelle, j’ai finalement trouvé le travail d’un petit groupe de féministes italiennes des années 70 qui a pris le nom de Librairie des femmes de Milan.
Elles montrent comment les femmes puisent de la force dans des relations de confiance, de bienveillance avec d’autres femmes. À tel point que ces petites réseaux constituent en eux-mêmes des cellules sociales ou politiques.
Elles appellent ces relations affidamento, qu’on peut traduire par confiance, et elles cherchaient comment les valoriser. Elles ont poussé des femmes à raconter ces relations…. et à les écrire.
Je dis que je ne me sens pas féministe, en revanche je revendique volontiers le fait d’être femme artiste. En sculpture la femme a été en grande partie représentée par des hommes sculpteurs et nous donne une image assez statique et sensuelle du corps de la femme. Et je me sens très reconnaissante à Nicki de Saint Phalle ou Germaine Richier d’avoir voulu dire autre chose, et de nous livrer un regard de femme.
Vous aimez représenter des femmes, des groupes de femmes. C’est leur quotidien qui vous inspire?
Bien sûr ce quotidien m’inspire, je le vis, le regarde, il me touche. Je me sens nourrie des femmes qui m’ont construite. Le cinéma m’inspire aussi, des lectures. J’aime Virginia Woolf. Vous m’avez donné ce texte de Marie Hélène Lafon (Histoires, Éditions Buchet-Chastel), sur les sœurs qui prennent le café dans des mazagrans. Asli Erdogan raconte combien la solidarité des femmes l’a sauvée lors de son séjour en prison en Turquie. Tom Wood cet été à Arles a exposé sa série de photos « Mères, sœurs, filles » sur les ressemblances entre générations, mais on ressent tant d’affidamento entre toutes.
Quelles techniques utilisez-vous lorsque vous créez ? Pourquoi réalisez-vous vos sculptures ensuite en bronze?
Chaque sculpteur investit sa technique, son matériau. Plus on avance plus on en découvre les possibilités. Je travaille en cire, c’est un matériau qui me convient, il me permet de travailler en longueur et en finesse. Il est rude aussi. Ensuite j’aime le travail du métal, le bronze est fort et doux. C’est merveilleux une fonderie d’art.
Que voulez-vous transmettre par vos sculptures?
Je ne dirais pas que j’ai un message à transmettre. On interroge les artistes sur le sens de leur travail, je sais que j’avance intuitivement. Et je suis surprise de croiser tant de femmes émues par ce sujet, heureuses de le voir exprimé. Je crois simplement qu’un artiste offre son regard sur le monde, Bob Dylan chante « Derrière chaque arbre il y a une chose à voir » et lors de son prix Nobel il écrit « si une chanson vous émeut, c’est la seule chose qui compte ».
Vous avez fait appel à d’autres artistes pour votre exposition itinérante, Elles ensemble.
Une comédienne lira des extraits de Ne crois pas avoir de droits (Éditions la Tempête), un enregistrement de groupes de paroles de femmes sera retransmis, des danseuses viendront, une lecture performance de textes écrits pendant l’atelier d’écriture du 28 septembre aura lieu….
C’est important d’aller au delà de vos créations, de faire un travail collectif ?
Au départ ma démarche était entièrement intuitive, cela a été un processus (plutôt) long et riche d’en exprimer le sens avec des mots. Partager ce sujet avec ceux qui découvrent mon travail m’intéresse beaucoup, j’aime les échanges pendant les expositions, les regards, les mots, les émotions des autres. J’ai monté des petits groupes de parole pour alimenter ce travail sur les femmes. Partager l’expérience avec elles ou avec d’autres artistes, me semble tout à fait complémentaire à la sculpture, cela permet de ré-interroger, de confronter, de donner du mouvement, de créer d’autres images, d’autres paroles.
Sylvie Neron-Bancel
Sylvie NERON-BANCEL. Responsable du site d’Aleph-Écriture Lyon et du développement des partenariats, formatrice en écriture littéraire, elle anime les modules 3, 4, 5, 6 de la formation générale.
Le Module 5 « Écrire sa vie », ouvrira le dimanche 17 novembre à Lyon.