Images de soi, vers quatre ans_opt

Du 26 janvier au 4 février 2014

Notre rubrique « L’Atelier ouvert » vous propose de lire et d’écrire à partir de parutions récentes. Une sélection sera publiée quinze jours plus tard dans les pages de L’Inventoire. Vous pouvez envoyez vos textes à atelierouvert@inventoire.com.

Cette semaine Alain André propose d’écrire à partir du livre de de Brigitte Giraud Avoir un corps (Stock, 2013).

Extrait

« Au commencement je ne sais pas que j’ai un corps. Que mon corps et moi on ne se quittera jamais. Je ne sais pas que je suis une fille et je ne vois pas le rapport entre les deux.

Au commencement, je fais ce qu’on me dit, je monte mes chaussettes jusqu’en haut, je ne caresse pas les animaux que je ne connais pas, je ne prends pas les bonbons des messieurs dans la rue. Je ne me rends compte de rien. Je trace des dessins avec la buée sur la vitre. Je malaxe de la pâte à modeler, je fais des bonshommes et des serpents, des quantités de serpents que je roule entre mes mains. Je ne pense pas. Je mange, je joue, je dors. »

Proposition

J’ai lu Chronique d’hiver, de Paul Auster (2012 et Actes-Sud, 2013, pour la traduction française) et Journal d’un corps, de Daniel Pennac (Gallimard, 2012). Avoir un corps, de Brigitte Giraud (Stock, 2013), c’est encore autre chose. L’angle est celui du corps, ce qui pourrait lasser, mais au féminin. Et ça, le corps des femmes, ça m’intéresse bien sûr, depuis toujours.

C’est un roman, la couverture intérieure le prétend. Ni une chronique ni un journal donc, on ne voit pas trop la différence ici, en termes de genre littéraire. C’est bien de son corps, et d’elle, qu’elle parle, sans imaginer la suite de leur histoire commune, ainsi que le fait Pennac en revanche, dans son « journal » qui ne nous épargne pas même l’agonie de son narrateur. Certains motifs sont donc inévitables. Mais, on ne s’en étonnera pas vraiment, la question du « genre » est extrêmement présente : ce corps, comment devient-il celui d’une petite fille, puis d’une femme, et pas seulement d’un enfant, puis d’un adulte ? L’interrogation est présente d’emblée, avec un souvenir de scarlatine, puis avec un double « au commencement », qui semble contester, ou varier, les premiers mots de l’Ancien Testament.

Et vous, « au commencement », comment était-ce ? Pouvez-vous tenter de retrouver une conscience « archaïque » de vous-même – et encore le mot conscience est-il de trop : pouvez-vous tenter d’éprouver de nouveau ce que c’était, dans votre enfance, que d’habiter ce corps-là, précisément, le vôtre ? Comment c’était. En reprenant et en variant, plusieurs fois, trois ou cinq fois, ce début de phrase : « Au commencement je… » Envoyez-nous le résultat, en un seul feuillet (1500 signes)…

Lecture

Autobiographie des objets, de François Bon (Seuil, 2012), est également une autobiographie « anglée », comme disent les journalistes. L’angle n’était pas celui du corps, celui qu’on a, celui qu’on habite, celui dont on est content ou pas, mais celui des objets. Voilà donc quelque chose qui semble dans l’air du temps : le récit autobiographique, mais décentré, recadré, assigné à la résidence d’une thématique patiemment perlaborée. Après ma vie parmi les objets, et ma vie et mon corps, pourquoi pas, se dit-on, ma vie et la brocante, ma vie et les ateliers d’écriture, ma vie et le jardinage ? Et ce serait passionnant, dans la mesure où, avec ces prémices, tout devient une affaire de regard.

Le regard de Brigitte Giraud, Lyonnaise née en Algérie, je l’ai découvert en lisant L’amour est très surestimé, un (très) efficace recueil de nouvelles brèves qui a reçu en 2007 le Goncourt de la nouvelle. Mais il s’est affirmé dès La chambre des parents (Fayard, 1997), le premier de ses sept romans (parmi lesquels J’apprends, Stock, 2005, Une année étrangère, Stock, 2009, et Pas d’inquiétude, Stock, 2011). La place, celle qu’on occupe dans une famille ou dans un couple notamment, celle qu’on aspire à occuper pour devenir pleinement possesseur de soi-même, y constitue une thématique centrale. Le corps en est un enjeu essentiel, on sait que l’auteure l’a travaillé au cours d’une collaboration avec la chorégraphe Bernadette Gaillard, d’où est né le texte. Comment faire, quand on se rêve en gardien de foot et que votre mère couturière vous enferme dans une jolie robe à volants ? Ou l’inverse ?

Le roman s’ouvre sur une série d’épiphanies ou de premières fois, évoquées sans fioritures, parce que les apprentissages ne sont pas souvent des parties de plaisir. Il bascule, et emporte, au-delà de l’étude corporelle, avec l’évocation du deuil suivant la mort accidentelle du compagnon, qui semble opérer une sorte de rupture entre le corps et la tête de la narratrice. Ensuite, ma foi, on a envie de lire les livres de Brigitte Giraud qu’on n’a pas encore lus. C’est tout le mal que je vous souhaite.

Alain André

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