Atelier Ouvert : les textes de la Nuit de la lecture à la librairie du Rideau rouge

Lors de la nuit de la lecture du 14 janvier, Aleph-Écriture a proposé un Atelier Ouvert à la librairie du Rideau Rouge dans le 18ème arrondissement à Paris.

Après une lecture de différents textes d’auteurs autour du thème de la ville, les dix participants réunis à l’occasion de cet événement national ont été invités à écrire. La proposition d’écriture faite par l’animatrice, Solange de Fréminville, reposait sur le thème «  la ville, de ma fenêtre ».

Une fois les textes achevés, lus et commentés par le groupe et par l’intervenante, ce sont les lecteurs à haute voix de l’association « Lire & Conter » qui ont procédé à la mise en voix de ces petits morceaux urbains de l’Est parisien… ou d’ailleurs.

Découvrez ci-dessous ces petits morceaux urbains de l’Est parisien.

 

Un soir au cinquième étage de la rue Marx Dormoy – Mehdi Abaoub

Un pigeon prend ses aises dans mon persil. Je me précipite ! Il s’envole déjà vers d’autres jardinières. Ma voisine de pallier entrouvre une fenêtre. Un nuage de buée en profite pour se dissiper. Le voisin d’en face laisse nonchalamment tomber sa canette dans la cour. Il tourne le dos, le vent rabat sa fenêtre. Une soirée commence deux étages plus haut. Des invités échangent un verre à la main. La musique n’envoie que des basses. Quelques photophores les éclairent timidement de bleu. La glycine diffuse insensiblement du haut de sa taille. Des klaxons s’énervent rue Philippe de Girard. L’appel du garage ? Le camion poubelle s’en fiche. Sous l’œil impassible d’un homme en marcel qui fume à la fenêtre de l’autre côté de la rue. Les arbres se balancent mollement dans leurs pots sur la terrasse au loin. Les avions de Roissy ne cesseront leur ballet que bien plus tard. La rumeur de la place Marx Dormoy peine de plus en plus à se faire entendre. Tiens, la lune se lève.

 

Odile Castiglione

De ma fenêtre, 4ème étage, fenêtre sur cour, quartier Barbès-Rochechouart, métro ligne 2 passe et repasse. La maternelle, les enfants en récréation crient, jouent et rient. Ça résonne les cris d’enfants jusqu’à ma fenêtre tout comme le métro qui passe et repasse en même temps.

Ces ouvriers qui réparent, réparent quoi ? Parlent fort, tapent avec leurs outils, je les vois se disputer et encore ça résonne.

Coté gauche, cour de récréation de l’école primaire, des bagarres, des cris et qui parlent très forts et toujours la même chose, ça résonne.

Le marché, le vendredi et le samedi, on entend des voix et ça résonne.

Décidément tout résonne dans cette rue, dans ce quartier.

 

 

Plafond Bas – Renauld Faucompré

Jusqu’au fond de la pièce où je suis assis maintenant, la lumière a du mal à pénétrer. J’apprécie pas tellement, mais c’est comme ça ou j’habite rue de Torcy.

L’appartement donne sur une cour intérieure. Les fenêtres d’en face, vues légèrement en oblique depuis l’espace où je suis assis, par terre, me permettent de percevoir. Mon regard s’attarde quelque mouvements.

Lumière violette pour celui au même étage que le mien, celui du dessus, plutôt d’un jaune léger. De l’un des deux, une musique aujourd’hui rythmée vient perturber le silence coutumier.

9h30, du robinet dans la cour, l’eau qui coule d’un jet puissant me ramène dans le présent. Aujourd’hui vendredi, Maria la gardienne entame sa matinée de nettoyage. Tout à l’heure, elle montera les étages des différents escaliers.

La porte qui ouvre sur le passage menant à celle donnant sur la rue claque. Avec sa fermeture disparaît un moment de conversation perçu le temps de la traversée de la cour, qui mène d’une porte à l’autre.

Du rez-de-chaussée, une odeur de curry monte jusqu’à l’étage où je suis. Ce matin assez tôt, du même appartement les voix des enfants, plus discrètes que d’habitude, remplissaient tout de même l’espace.

Dernier étage, toujours en face, quelques notes de piano apportent un peu de compagnie. Merci la musique.

Dans la cour, les vélos attendent accrochés à leur stand, certains déjà partis ont bravés le mauvais temps, le mien dans l’arrière-cour, patiente.

Dans l’escalier un pas lourd, lent, monte, s’arrête. Une personne âgée, ou fatiguée, souffle probablement.

De la pièce à côté, sur des accords de guitare plutôt dynamiques, la voix de mon voisin émerge. Bientôt le silence, il est l’heure pour lui de partir. Sa porte s’ouvre, se ferme, ses pas dans l’escalier, le son de la porte de notre bâtiment en bas, puis celui de la deuxième porte qui mène au sas de passage jusqu’à la rue.

Silence… à nouveau.

 

 

Derrière la fenêtre – Anne-Laure Goron

Derrière la fenêtre.

Laquelle ?

Devant moi, un écran. Un miroir derrière. A gauche, la fenêtre. Et la cour. Derrière la cour, le bâtiment A. Je vois la rue Perdonnet à travers les fenêtres de l’appartement d’en face. 3 fenêtres m’en séparent. Amusant. La rue Perdonnet sous 3 filtres. Avec des gens dedans. Et des meubles. Des plantes. De l’air.

La rue Perdonnet, vue du 5ème étage, et sous 3 filtres. Qui ne filtrent pas, mais alors pas du tout, l’odeur de l’Inde. Tant mieux ! Le dal qui cuit. Le tchaé à la cardamone qui boue inlassablement. Les portes du resto qui claquent. Ici, ce n’est pas juste le 10ème. C’est l’Inde !

Et devant moi, l’écran. Le boulot. Les rapports à finir. Les délais à tenir… Pfff.

Oui mais… la fenêtre… à ma gauche. Le miroir derrière, qui me voit devant l’écran et à la droite de la fenêtre. Ou bien est-ce l’inverse ?

La voisine qui passe et repasse devant sa fenêtre. Portable à l’oreille droite. Clope à la gauche (elle se gratte l’oreille). L’homme au pull vert qui cherche je ne sais quoi dans le placard de… est-ce sa cuisine ?

Les petit pas, pas si légers, de la petite fille du 6ème. La dame qui repasse, clope à la main, dont la conversation étouffée attire tout de même mon oreille gauche. L’homme au pull vert a disparu du tableau. Sifflement ! Mince, la bouilloire ! Je quitte tabouret, fenêtre, et écran, que je laisse momentanément en face à face avec le miroir. Bip. Plaque vitro éteinte. Je me vois dedans. Peut-être bien qu’on me voit par la fenêtre de la cuisine ? Ouais bon, mais mon écran. Mon boulot.

Retour au bureau. Ecran devant, miroir derrière. Fenêtre à gauche.

Thé chaud. Ventre chaud. Odeurs de l’Inde enveloppante. Le géranium à la fenêtre, qui balance ses fleurs odorantes au vent. Je les sens à travers la vitre. Cette odeur, je peux la sentir des yeux. C’est ma madeleine.

J’ai faim !

Ah. La petite du dessus aussi ? A moins que ce ne soit un gros chagrin… Son père n’a pas l’air convaincu, lui.

La lumière dehors s’estompe. Déjà. Et mon écran. Toujours là. D’un énervant de stoïcisme, celui-là. Têtu même. Lumière éclatante. Narguante. Mes yeux plissent.

Aller. J’écris au moins quelques lignes… Ah j’adore la texture des touches de mon Imac. Mon « Imac à moi » ! Tip. Tap. Top.

Ça y est… !!! Je bosse !

 

 

Tout est calme – Clémence Gross

Je prends la fenêtre de la cuisine.

Ça donne :

6ème étage / mansarde.

A hauteur des yeux : une grue, des toits d’ardoises, des tours au loin et bien sûr des fenêtres voisines où l’on voit notamment :

Une immense bibliothèque.

Un mur d’un vert émeraude.

Les éclats d’une télé allumée toute la nuit.

Tout est calme.

Baisser le regard, tomber sur le mot THÉÂTRE en néons roses qui éclaire l’éléphant figé dans la pierre. Plus en avant : un M jaune, au sol le fleuriste devant le Franprix et sur le côté le Lavomatic.

Zoom à mi-hauteur : en ce moment une immonde décoration de Noël formant une boule lumineuse violette. En mars dernier y flottaient les échos de mes nuits debout (à cette période, je n’étais jamais en haut mais toujours en place.)

A présent tout est calme.

Travelling de la gauche vers la droite : écluse, canal, arbres, croisement de trois rues donc étoile de bitume qui transforme l’eau en terre-plein sur la gauche.

Tout est calme enfin.

Flashback : restent les fleurs autour d’une plaque commémorative, et les noms de celles et ceux passés par là.

Là au croisement.

Un soir de Novembre.

Tout est calme, pourvu qu’ça dure !

Je me retourne et tu es là.

 

 

Photo: DP

Louise Muller

 

De ronds pavés lisses de taille inégale

Les cahots réguliers des roues des voitures

Dans le crépuscule, on ne voit pas la pluie mais on la sent

Puis dans le réverbère qui s’allume doucement

Les gouttes soudain apparaissent.

 

Sous l’auvent de l’immeuble en face, le groupe de capuches entoure

un portable poussé à fond

La musique traverse mon double vitrage

C’est un bon portable.

 

Elle est ronde emmitouflée une touffe de cheveux dépasse du bonnet

On dirait qu’elle ne se déplace que par la traction exercée par son chien

Heureux, lui, et vivant.

 

Le dos d’un monsieur au chapeau noir

à la démarche lente sur le trottoir étroit

Ce dos-là met une éternité à rejoindre le bout de la rue avant de disparaître

Vaste et voûté.

 

Grand ramdam c’est le camion poubelle

Lumières oranges projetées sur les murs et jusqu’au ciel

Fracas de verre brisé et moteur rugissant

Big bang clignotant du ramassage des ordures

Qui disparaît bientôt.

 

Deux femmes passent dans un sens, une dans l’autre

Elles ont bizarrement toutes des capuches bordées de fourrure.

 

Il fait presque noir maintenant.

Un réverbère ne s’est pas allumé.

Un autre projette une lumière fébrile déroutante.

Du premier étage, la rue de Lunéville s’endort, tranquillement.

 

 

Photo: DP

D’une fenêtre sur cour, Paris 18ème – Delphine Neff

 

Jour

Haute façade percée d’ouvertures

Grandes baies, vitraux aux oiseaux

Rideaux tirés, intimité

Éclats de voix en bas

Tiens, la gardienne conciliabule Mme _______ (bip)

Voix basse, pas moyen de ragasser l’info, dommage…

Nuit

Lumière au 3ème, ils sont rentrés

Pas encore couchés au 5ème ?

Je me sens moins seule dans mon insomnie

 

D’une autre fenêtre sur une autre cour, Paris 18ème

Jour

Au loin grand immeuble beige

Balcons vitrés transparents orangés

Moches

On pourrait le faire sauter ?

Devant, petites cours petits ateliers

Petite mer de toits, une façade pignon

De laquelle émerge une fenêtre

Nous sommes face à face

Un homme torse nu effectue des allers et venues dans sa chambre

Encore devant, petit cour

Balcon bleu en L en bois

Mignon

A côté, fenêtre aux volets métalliques bordeaux fermés, intimité

 

 

Photo: DP

Alessandra Nerozzi

Il est là au milieu, il sort directement de mon balcon. Un château disneyien, un gâteau à la meringue ou tout simplement une église. Il reste immobile et imposant du haut de Montmartre. Il semble si proche et pourtant il y a la Goutte d’or qui nous sépare : ses claxons, les cris joyeux (ou pas) de ses habitants. Le Sacré Cœur ne bouge pas, du matin au soir et pourtant parfois il disparaît. C’est quand il y a de la brume, un peu comme ce soir. Et alors je regarde les cheminées à ma gauche, qui reflètent les lumières des fenêtres, des dizaines de fenêtres de la rue Stephenson. Je regarde une autre église qui me plaît beaucoup plus, celle de Saint Bernard. Je regarde encore à ma gauche. Dans un appartement, le même type fait encore la même danse ce soir. Je reviens au milieu et regarde le toit brûlé de la rue Myrha, toujours pas réparé et l’immeuble condamné. A ce moment-là toujours la même moto qui passe. Comme je la déteste !

Quelques cris, on pense à une bagarre. Mais je regarde mieux. Ce sont les jeunes de la Goutte, qui, en hiver comme au printemps, restent dehors. Je regarde un peu à ma droite. Je vois une terrasse éclairée. Je n’ai jamais compris ce que c’était, car il n’y a jamais personne. Encore à droite, les toits n’ont pas changé de couleurs. Gris, gris clair, gris foncé, gris anthracite. Je regarde à droite et le soleil s’est déjà couché, mais j’entrevois les tours qui accompagnent le chemin de fer. Je lève mon nez, enfin, et dans une nuit sans étoiles, deux avions se croisent. J’entends leur bruit, ils viennent tout juste de décoller.

Un autre son se rajoute. Je respire, j’écoute. C’est le bruit des trains derrière moi. Des trains qui vont à la gare du nord ou peut-être qui vont au nord.

Je suis curieuse et je vais à l’autre fenêtre.

 

 

Photo: DP

Fenêtre sur cour – Anne Poinsot

La porte vitrée du hall s’illumine, mais personne ne sort. Au 5ème la fenêtre est entrouverte. La porte vitrée du hall s’illumine à nouveau. Passent trois pompiers. Leurs pas lourds traversent la cour. La porte du bâtiment grince méchamment, probablement sous la main des pompiers. La fille du 4e, en face, à sa fenêtre. Cheveux roux flottants. Elle allume une cigarette et s’accoude à la rambarde. Pas lourds des pompiers, mais cette fois-ci dans l’escalier. La fille du 4e, en face, fume toujours sa cigarette, penchée. Le monsieur à casquette se dirige vers les poubelles. Les vertes. C’est qu’il doit alors être autour de 16h. Rue des Roses, c’est l’heure à laquelle les préposés aux poubelles sortent ces grands chariots verts. La fille du 4e en face laisse tomber un truc dans la cour. Son mégot ? Oui, son mégot, car il continue à fumer sur le sol de la cour, à deux pas du pot de fleur du musicien du rez-de-chaussée. Au 4e étage, au dessus de ma tête, les pas lourds des pompiers font des va-et-vient. Des interjections fusent aussi, mais assourdies. Une porte claque violemment quelque part. Vu le son, au 4e ? Les pompiers claquent-ils les portes habituellement ? De gros godillots résonnent en redescendant – toujours aussi lourdement – le pauvre escalier en bois qui n’en demandait pas tant. La fille du 4e, en face, est toujours à sa fenêtre, mais sans cigarette. La porte du bâtiment grince, à nouveau, toujours aussi méchamment. La fille du 4e, en face, regarde passer les pompiers dans la cour. Elle ramène une mèche folle derrière son oreille. La parole des trois garçons en uniforme rebondit sur les murs de la cour. Le monsieur à casquette ramène une des grosses bennes vertes. Une seule ? Et l’autre ? Ah il remplit un seau au robinet dans le coin à gauche et entreprend de la nettoyer. Caché sous sa gapette rien de son expression ne filtre. Du bout des doigts il ramasse le mégot. Mégot maintenant éteint. La fille du 4e en face n’aime pas fumer chez elle fenêtre fermée.

Au 1er étage en face un jeune homme aux cheveux sombres et au pull bleu se glisse dans le lit du bas d’un ensemble de couchettes superposées. Dans la pièce contiguë – fenêtre d’à côté, désormais bien éclairée, un autre jeune homme en tee-shirt jaune reste assis à côté d’une troisième personne (homme ? femme ? difficile à dire) sur un canapé aux motifs bizarre vus d’ici. Je ferme le store, je connais trop bien la suite de la représentation.

 

 

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