Arlette Mondon-Neycensas « La nouvelle. Dire plus en disant moins »

Arlette Mondon-Neycensas anime du 13 novembre 2022 au 19 février 2023 à distance « Nouvelle à chute« , stage par e-mail. Nous lui avons demandé ce qu’est une nouvelle « à chute, sans chute, une nouvelle-instant » et la différence entre un roman et une nouvelle longue. 

L’inventoire : On a souvent du mal à comprendre les différentes techniques d’écriture de textes courts, Comment définiriez-vous la nouvelle ?

Arlette Mondon-NeycensasLa réponse est difficile ! La nouvelle est une forme littéraire polymorphe qui ne cesse de faire débat chez les spécialistes. Elle a la singularité de varier sa forme et ses contenus à l’infini, et la possibilité de se métamorphoser, suivant les époques, la multiplicité de ses thèmes : nouvelle fantastique / nouvelle policière / nouvelle épistolaire / nouvelle autobiographique…

Afin de ne pas rentrer dans une théorisation savante, je retiendrai juste la formule de Jean-Paul Sartre « L’homme est un conteur d’histoire ».  C’est aussi pour cette raison que j’aime écrire et lire des nouvelles, n’importe quel événement peut donner matière à une nouvelle. On peut dire que la nouvelle fait feu de tout bois.

La chute est l’aboutissement d’une « stratégie », ce qui signifie qu’elle n’est ni l’effet du hasard, ni d’une trouvaille de dernière minute.

Doit-on penser une nouvelle en fonction de la chute, ou la chute peut-elle intervenir en écrivant l’histoire ?

Lorsqu’on dit « nouvelle » on pense tout de suite à la chute, alors qu’il en existe de nombreuses sans « chute ». Parmi lesquelles « la nouvelle instant » qui n’a souvent ni intrigue, ni chute. Dans ce cas-là on parle de « chute  ouverte » ce qui donne la place au lecteur de combler ce « blanc ».

Nous pouvons envisager « la nouvelle à chute » comme un jeu avec le lecteur.

La nouvelle est un exercice technique, la chute est l’aboutissement d’une « stratégie », ce qui signifie qu’elle n’est ni l’effet du hasard, ni d’une trouvaille de dernière minute. Nous pouvons envisager « la nouvelle à chute » comme un jeu avec le lecteur. Il s’agit même de se jouer de lui. Le but est de surprendre.

La chute est un coup de théâtre d’autant plus réussi, qu’elle sera inattendue. Il s’agit pour l’auteur de contredire « l’horizon d’attente » (Hans Robert Jauss) du lecteur. De l’orienter dans une direction souvent déterminée par l’incipit et à partir de là, l’auteur élaborera une stratégie afin d’esquiver son  attente, en jouant à le semer, le désorienter… Et ce jeu fait tout le sel de cet atelier !

La construction de la « nouvelle à chute » consistera à tirer des fils qui convergeront tous vers… la chute. Ce qui donnera au lecteur à la fin de sa lecture, la clé de l’énigme. Il pourra ainsi relire la nouvelle à la lumière de la chute.

Dans le cas de la « nouvelle-instant », il s’agit plutôt d’écrire le presque rien, l’instant fugitif, présent ou lointain. Lui donner forme au cours de l’écriture.

 Une nouvelle c’est l’art du détail, de l’infime, de l’anecdote à partir desquels se charpente le récit

Comment parvenez-vous à faire écrire une nouvelle ? Travaillez-vous sur les situations, les anecdotes, utilisez-vous des nouvelles de référence ?

 Une nouvelle c’est l’art du détail, de l’infime, de l’anecdote à partir desquels se charpente le récit. En effet les participants et l’animatrice portent une attention particulière au détail, à un geste singulier, on s’interroge sur l’importance d’une scène, a t-elle sa place à cet instant du récit ?…  Repère t-on le minuscule déséquilibre, ce petit point de bascule qui fera événement ?

Le participant est invité à puiser dans les ressources de son imagination, tout en les mettant au service de « l’efficacité » de l’histoire.

Le travail s’effectue par étape : la première consiste à susciter l’évocation d’une image impérieuse, une image chargée de quelque chose de fort et dont le sens échappe. Cette image sera le germe de la nouvelle qui grandira se transformera au long des séances. Et comme toujours suivant la pédagogie Aleph nous irons voir du côté des auteurs pour saisir comment la nouvelle est fabriquée.

Aleph est un lieu de partage, le regard de l’animatrice croisé à celui des participants sur les lectures de chacun, ainsi que les retours qui en seront faits interrogeront et nourriront l’élaboration de la nouvelle.

Les outils techniques, astuces, trouvailles repérés dans les lectures de nouvellistes aideront à faire surgir une énigme, un suspens.

L’Inventoire : Quelle est la différence, selon vous, entre l’écriture d’une nouvelle et celle d’un roman ?

Question difficile dont les réponses sont multiples… Le roman s’organise autour de plusieurs personnages: des personnages principaux, des personnages secondaires, ainsi qu’une pluralité de lieux. Une succession d’événements sera le moteur du roman.  On dit qu’il se distingue de la nouvelle par sa longueur, mais nous savons qu’il existe des romans courts…

Mireille Pochard formatrice en écriture et passionnée de nouvelles a une façon très imagée pour évoquer la différence entre le roman et la nouvelle :

« Dans le roman, nous posons nos valises, et nous nous installons dans la durée, les personnages deviennent des compagnons, des amis même. En revanche dans la nouvelle, l’auteur nous prend en stop, nous faisons un bout de chemin ensemble, puis il nous re-dépose ».

La nouvelle c’est dire le plus en disant le moins.

Ce qui ne veut pas dire que le lecteur ne restera pas touché par cette traversée. Mais la forme est différente, la nouvelle s’écrit avec une économie de personnages, il y a une unité de lieu. Son écriture relève d’un travail de concision. On ne s’attarde pas sur la psychologie des personnages. Si la concision concerne la longueur de la nouvelle (même s’il existe des nouvelles longues), elle concerne avant tout la concision dans la construction de l’histoire… On ne s’égare pas, chaque mot doit trouver sa place dans la structure de la phrase. La nouvelle c’est dire le plus en disant le moins.

L’Inventoire : quelle est récemment le recueil de nouvelles qui vous a plu et pourquoi ?

Histoires bizarroïdes de Olga Tokarczuk (prix Nobel de littérature 2018). Ces nouvelles dans leur diversité nous font accéder à un monde étrange, elles englobent toutes les époques (même celles que nous n’avons pas encore vécues) et aussi d’autres cultures, cachées dans de mystérieux territoires en des temps disparus.

Dans son discours de Stockholm  Olga Tokarczuk dit chercher une nouvelle narration universelle. L’autrice souhaite « … donner vie,  faire exister toutes ces particules du monde que sont les expériences humaines ». Elle propulse le lecteur dans un monde ou les frontières de la réalité et de la fiction sont ténues. Ces récits posent des questions très contemporaines, comme le délire religieux, le transhumanisme, l’écologie, la fragilité de nos civilisations…

Cette rencontre inédite avec les nouvelles de Olga Tokarczuk m’a plongée dans une sensation d’étrangeté, voire de noirceur, mais j’y ai aussi trouvé de l’optimisme à travers « Le regard du tendre narrateur » (titre de son discours de Stockholm) tant la présence de la narratrice nous accompagne dans la profondeur de ces Histoires bizarroÏdes.

Inventoire

Arlette Mondon-Neycensas a travaillé dans le champ médico-social et a animé des ateliers d’écriture auprès d’adolescents en rupture sociale. Elle conduit à Aleph des ateliers par e-mail, en présentiel, des Ateliers Ouverts en librairie à Bordeaux « écrire avec nos contemporains ». Prochain atelier : 13 novembre 2023, puis le 15 janvier 2024.