Anselm Kiefer, l’alchimie du livre
Marie-Hélène Mas
Anselm Kiefer est l’un des artistes allemands contemporains les plus doués de sa génération. Principalement connu pour ses sculptures et ses tableaux, on en oublie que ses livres représentent plus de la moitié de son travail et sont le fondement de son œuvre ‘grand public’.
La BnF lui consacre actuellement une exposition dont il a réalisé la scénographie, où l’on retrouve dans une immense salle, les livres créés entre 1968 et 2015 sur les thèmes qui lui sont chers. Avec son regard affûté et romantique, il traite des mythes fondateurs de l’Allemagne, du travail de mémoire avec la Shoah, de l’identité allemande après le nazisme, de la « vie secrète des plantes », de la Kabbale, de la poésie et des femmes.
On entre ainsi dans l’intimité de l’artiste, comme des portes ouvertes sur ces revendications, ses combats, ses fantasmes: « Dans mon œuvre, le livre est très important. Il est un répertoire de formes et une manière de matérialiser le temps qui passe. Pour moi, chaque livre recèle une onde qui se déploie, formant une vague que je donne à voir lorsque je tourne les pages ou que je les mets en scène. Il fait partie de la mer. Son aspect esthétique, son aspect matériel, m’intéresse beaucoup. Certains sont de véritables sculptures, plus grands que la taille humaine, ouverts mais impossibles à feuilleter. »[1]
On aime se promener au hasard de ces « livres-objet » improbables aux pages colorées, plombées, collées, emplâtrées, épaissies par du sable, de la cendre, des branches, des graines, … Ils viennent aussi répondre comme en écho à des sculptures, parfois hautes de 3 mètres, représentant tour à tour les bords du Rhin, un bouquet de tournesols, une bibliothèque aux feuilles de plomb et de verre brisé…
« Plus vous regardez mes tableaux, plus vous découvrez les couleurs. Au premier coup d’œil, on a l’impression que mes tableaux sont gris mais en faisant plus attention, on remarque que je travaille avec la matière qui apporte la couleur. »[2]
Et on finit comme on a commencé : avec deux immenses tableaux en relief qui se font face…
Un espace intime et flottant où on peut se laisser transporter entre des sculptures-livres, qui, à l’instar de la littérature, sont dépositaires de notre bien le plus précieux : le temps.
M-H. M.
Jusqu’au 07 Février 2016 à la BnF François Mitterand
[1] Anselm Kiefer – Entretien avec Pierre Assouline dans Anselm Kiefer, Sternenfall, Editions du Regard, 2007
[2] Interview Anselm Kiefer, ‘Regarde les hommes changer’ sur Europe 1