Anny Claude est pédopsychiatre. Elle a participé au parcours « Écrire et éditer son histoire de vie », programme conçu par Aleph-Écriture en partenariat avec le groupe Bayard. Anny Claude lira un extrait de son livre, avec d’autres participants du programme, samedi 9 décembre, dans les locaux parisiens d’Aleph-Écriture à partir de 18h45.
Sylvie Neron-Bancel : Anny Claude, vous avez participé au parcours « Écrire et éditer son histoire de vie », programme conçu par Aleph-Écriture en partenariat avec le groupe Bayard. Vous exercez le métier de pédopsychiatre. Quel rôle joue l’écriture dans votre vie ?
Anny Claude Melloul-Hammel : L’écriture a accompagné pratiquement toute ma carrière de pédopsychiatre. Dans le soin aux enfants, j’ai non seulement utilisé le conte traditionnel mais aussi créé des contes sur mesure. Ma pratique de thérapeute d’enfants m’a vite amenée à penser qu’il était illusoire de traiter l’enfant seul, dans des thérapies individuelles. Il fallait prendre en compte le contexte de vie de l’enfant, ses liens d’attachement donc sa famille.
De thérapeute individuel je me suis transformée en thérapeute de famille en utilisant la théorie des systèmes à une époque où elle n’était que peu connue. Dans ce travail il n’y a plus de relation soignant-soigné où le médecin sait et prescrit mais un partenariat dans lequel thérapeute et famille travaillent ensemble. Ainsi chaque famille, avec sa singularité, découvre ses ressources pour mettre à jour les aléas qui pèsent sur son histoire.
Dans cet espace, où inconscient et imaginaire du thérapeute et de la famille se conjuguent, j’ai été amenée à créer et écrire des contes en résonance avec ce qui émergeait. Autant d’écrits lus puis donnés aux familles. Celles-ci se montraient parfois interrogatives ou dubitatives ou étonnées ou émues, rarement, indifférentes. Ce sont ces moments de création, quand flotte l’imaginaire, quand l’esprit se libère que l’écriture m’a fait découvrir. Retrouver ce plaisir a été à l’origine, je pense, de mon projet d’écrire.
Ce projet a pris corps grâce à un cadeau surprise d’un de mes fils, lorsqu’il m’a inscrit à l’atelier d’Aleph « Oser écrire ».
Je n’avais jusque-là jamais pensé faire une telle démarche, me vivant comme soignante sans m’imaginer écrivante. Ce cadeau m’a fait découvrir l’atelier d’écriture. Depuis je me suis couverte de cadeaux en suivant nombre d’ateliers : nouvelles, jeunesse, enfin histoire de vie.
Sylvie Neron-Bancel : Votre livre, Dans le silence de son pas, nous promène de l’Algérie à la Dordogne, avec une longue halte à Marseille, des années cinquante aux années 2000. C’est une histoire de femmes, de déracinement, de chocs de culture, avec en toile de fond un secret de famille. Quel a été l’impact de ce secret pour vos proches, dans l’écriture ?
Anny Claude Melloul-Hammel : J’ai toujours eu le souci de transmettre et d’éclairer les générations à venir. Lorsque le secret m’a été dévoilé, j’en ai immédiatement fait part à mes enfants déjà adultes, à mon frère pour qu’il puisse faire de même avec ses enfants. Le secret était su, mais peu évoqué. Chacun s’en débrouillait.
Le temps passant, en devenant de plus en plus grand-mère (j’ai maintenant sept petits-enfants), mon idée de transmettre l’histoire familiale se précisait. Mais sous quelle forme ?
La proposition d’un atelier « Écrire et éditer son histoire de vie », a été cette forme. Au fil des séances, traiter du secret, de sa fonction m’est devenu une évidence. Même si je me sentais parfois un peu déloyale envers une de mes figures d’attachement, j’étais heureuse de mettre l’autre dans la lumière.
Le dévoilement de ce secret, dont je n’ai eu connaissance que la cinquantaine passée, a été ce moment où tout ce que je pressentais enfant puis adolescente s’est éclairé, d’un coup, d’un seul. J’ai souvent repensé à ce qui aurait pu changer dans ma vie si je l’avais su étant jeune…
Sylvie Neron-Bancel : Que vous ont apporté les propositions d’écriture dans l’écriture de votre livre ?
Chaque proposition d’écriture provoquait inévitablement d’abord un temps de sidération : rien ne me vient, pas d’idée… Du blanc. Puis parce qu’il faut bien écrire quelque chose : quelques mots, quelques phrases jetées sur le papier, puis raturées, voire rayées. Alors le plus souvent j’arrête tout, pose mon stylo et, tant pis pour le temps qui passe, je laisse errer ma pensée. Je décolle et c’est là qu’est le plaisir. Des idées me viennent, parfois s’ébauche un texte, parfois cela reste confus, peu structuré. Je suis dans cet instant magique où l’imaginaire se libère. Ça ne marche pas à tous les coups, ça marche souvent. Et je suis souvent surprise de ce que je suis amenée ainsi à écrire, même à partir des propositions les moins inspirantes.
Prévenir les troubles psychologiques de l’adulte en s’occupant des enfants, prévenir les difficultés des enfants en s’occupant de leurs parents, de leur couple. Prévenir les effets d’un secret insuffisamment dévoilé dans les générations à venir, en écrivant ce livre, donc.
Sylvie Neron-Bancel : Parlez-nous de cette liberté d’écrire, indispensable pour écrire ce roman familial ? Avez-vous éloigné des démons du passé, dont vous parliez dans le préambule de votre livre ?
Anny Claude Melloul-Hammel : Donner toutes ses chances à la liberté de penser, chasser ce qui pourrait peser et affecter à leur insu les nouvelles générations : telle a été ma façon de chasser les démons du passé. En même temps, je rejoignais une préoccupation essentielle dans ma vie de pédopsychiatre tout entière tournée vers la prévention.
Prévenir les troubles psychologiques de l’adulte en s’occupant des enfants, prévenir les difficultés des enfants en s’occupant de leurs parents, de leur couple. Prévenir les effets d’un secret insuffisamment dévoilé dans les générations à venir, en écrivant ce livre, donc.
C’est l’intrication de tout cela qui m’a, je crois, permis de m’affranchir des loyautés de l’enfance, de ces culpabilités, de ces culpabilisations, de ces moralisations qui paralysent. Dénouer patiemment sans hâte, sans colère les fils de cet écheveau bien embrouillé, m’a mis sur le chemin de cette liberté d’écrire.
Sylvie Neron-Bancel : Vous avez transmis votre livre aux membres de votre famille. Quelles ont été leurs réactions ?
Anny Claude Melloul-Hammel : Tous dirent avoir lu d’une traite, ne pouvant s’arrêter. Certains y avaient pratiquement passé la nuit. Tous m’ont immédiatement appelée dès la dernière page du livre tourné. Certains étaient en larmes, dont mon frère, dont je redoutais un peu la réaction. Leur émotion était dans tous les commentaires. Des remerciements aussi. L’une a laissé échapper « c’était donc ça ».
Plusieurs m’ont demandé de prolonger le livre, en particulier dans la suite de la révélation du secret.
Un de mes fils aurait aimé que j’entre plus dans la complexité d’un des personnages. L’autre avait envie de mieux connaître l’autre des principaux protagonistes.
J’ai été ainsi confortée dans l’idée que le secret, même révélé, était resté en partie secret et que son écriture l’avait enfin sorti de l’ombre.
S.N.B.
Programme de la journée du 9 décembre dans le cadre de la journée Portes Ouvertes ici.
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