Anne Baatard : « Oser écrire, c’est découvrir des territoires inconnus »

Anne Baatard a été libraire et coordinatrice éditoriale. Elle anime bientôt le Module 1 de l’école d’écriture d’Aleph « Oser écrire » en distanciel (soir), du 7 janvier 2025 au 31 mars 2025. Qu’est-ce qu’oser écrire ? L’Inventoire lui a posé la question.

L’Inventoire : Vous animez une formation intitulée « Oser écrire », qui constitue le module 1 du parcours de Formation générale à l’écriture littéraire. Pensez-vous qu’il faut « oser » écrire ? Que cela n’est pas naturel ?

Anne Baatard : Oser, c’est « avoir l’audace de faire quelque chose ». Est-il naturel d’avoir de l’audace ? À la source de toute écriture, de ce surgissement, il y a des livres d’enfance, des rencontres, des figures tutélaires, des mythes personnels : un faisceau d’incitations qui passeraient volontiers inaperçues et pourraient tenir lieu de naturel. Pour certains, l’atelier doit renforcer cet encouragement premier à repousser le doute qui prend aisément le pas sur l’émotion et freine, voire condamne l’écriture. Écrire, c’est aussi se risquer à découvrir des territoires inconnus, tout le monde n’est pas un explorateur… et pourtant, tout le monde peut écrire, c’est une affaire de désir, auquel il faut se décider à ouvrir grand la porte.

Qu’est-ce qu’il faut oser écrire, par exemple ?

L’écriture révèle le plus intime qu’elle donne à voir et par conséquent expose. Il faut accepter ça, accepter cette nudité, ce n’est facile ni pour l’écrivain, ni pour le lecteur quelquefois.

La littérature, c’est aussi affirmer une voix singulière, on le répète dans les ateliers, cette singularité peut avoir des difficultés à se faire entendre, il faut aussi accepter de ne pas être audible du premier coup. Puis, inlassablement, tenter de le devenir.

Avez-vous des exemples d’auteurs qui relatent cela dans leurs livres ? Je veux dire, le moment où ils ont « osé » ?

On pense plus spontanément à tous ceux qui évoquent la nécessité d’écrire, un geste qui s’impose. On connaît la question de Rilke : « Mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? », encore faut-il s’autoriser à entendre cette voix impérieuse. Erri de Luca raconte qu’enfant, il dormait dans une chambre où il était « encerclé par les livres ». Il dit : « Les livres, pour moi, c’était l’intimité d’une bonne voix qui racontait des histoires, et cette intimité permettait aussi de se croire en droit d’ajouter mes histoires aux histoires des autres ».

C’est cette autorisation-là qu’on vient chercher en atelier, le consentement à prendre part à cette bibliothèque universelle qui ne cesse de repousser ses limites.

Sur quels auteurs cette formation s’appuie-t-elle ?

Le module 1 de l’école d’écriture littéraire, conçu par Aleph, propose une approche des quatre champs d’écriture que Georges Perec tente de définir dans Penser/Classer : sociologique (comment regarder le quotidien ?), autobiographique, ludique (les jeux d’écriture) et romanesque (l’envie d’écrire des livres qui se dévorent à plat ventre sur son lit).  Roland Barthes, Annie Ernaux, Peter Handke, accompagnent également les séances, j’ajoute aussi quelques écrivains voyageurs qui encouragent l’usage du carnet et la pratique de l’écriture fragmentaire.

Lesquels vous aident à écrire ?

Beaucoup de poètes habitent ma bibliothèque. Leur lecture est stimulante. La poésie est une tentative – plus ou moins réussie mais toujours heureuse – de maintenir dans l’écriture une sorte d’incandescence. « Je porte le feu dans mes mains. Je le comprends et je travaille parfaitement avec lui », écrit Federico García Lorca, presque toujours dans ma valise quand je voyage, ou les Chansons ou le Romancero Gitan. Ou bien René Char, surtout Les Matinaux.

Il y a aussi beaucoup de livres encourageants. « J’entends des regards que vous croyez muets » d’Arnaud Cathrine, par exemple. Des récits brefs issus du quotidien. Ou « 3 trucs bien » de Fabienne Yvert où elle fait l’inventaire, pendant une année entière, des choses qui chaque jour nous font trouver « le monde formidable » (c’est elle qui le dit !).

Vous avez longtemps été libraire, est-ce que donner envie de lire se rapproche de l’animation d’atelier où on transmet l’envie d’écrire ? Cela ne constitue-t-il pas une forme de prolongement : faire lire, faire écrire ?

Faire lire, faire écrire, c’est la même posture je pense ; on accompagne un lecteur ou un écrivain dans sa course de fond pour construire ses repères. On tente de lui éviter les impasses, les embuscades, on éclaire des zones qui pourraient lui échapper. On lui prête attention.

« Les écrivains sont reposants, ils écoutent beaucoup », écrit Marguerite Duras.

Je pense qu’ils ont aussi besoin d’être écoutés, surtout s’ils murmurent… comme les participants quand ils lisent leurs textes lors de leurs premiers ateliers.

Est-ce que le fait d’être en groupe et astreint à écrire aide à se lancer ?

On est là pour écrire, on est au pied du mur, on se lance, on se surprend soi-même. Le groupe peut être une source d’inquiétude à la 1re séance – comment vais-je lire mes textes à des inconnus  –  mais il devient très vite un lieu de confiance. L’atelier est une discrète alchimie dont on ne maîtrise pas tous les arcanes (et c’est heureux), l’animateur fait en sorte qu’elle opère favorablement pour chacun, transforme le lancement en trajectoire, jusqu’au projet voire la publication. L’écriture est un voyage au long cours dont on savoure chaque étape avec curiosité.

DP

Les prochaines formations de Anne Baatard  : Parcours – Module 1 – « Oser écrire » du 7 janvier au 31 mars 2025

« Faire de sa vie un récit littéraire » (initiation) du 5 au 7 décembre 2024 à Paris (en distantiel)