Baptiste a 14 ans et des poussières. Il a été enlevé, en plein désert, par un groupe de djihadistes, avec ses parents et ses deux petits frères. Très vite les ravisseurs, dont la plupart n’étaient pas beaucoup plus vieux que lui, ont décidé de le former comme un des leurs.
On ne sait pas ce que sont devenus les parents et les frères de Baptiste, lui seul est revenu en France. Il avait été séparé d’eux auparavant par leurs geôliers. Avant et après « la séparation » est un des letmotiv de ce roman au cours duquel un enquêteur/psychologue questionne Baptiste sur ce qui s’est passé, essaie de comprendre, et de l’aider à comprendre lui-même comment Baptiste est devenu Yumaï (le nom que lui ont donné ses kidnappeurs) ; comment l’enfance, en Baptiste, « près de sa fin » au moment de l’enlèvement, s’est d’un coup « volatilisée ». Comment Baptiste est « mort ».
Cet interlocuteur essaie de l’aider, aussi, à combler les « trous noirs » qui font de la mémoire de Baptiste un puzzle éclaté. Baptiste ne sait plus pourquoi son petit frère adoré, Louis, l’a regardé, une fois, avec autant d’effroi. Il ne se souvient plus de ce qui s’est passé quand il est entré dormir pour la première fois sous la tente d’Amir, le chef de ses geôliers.
Sa parole est également trouée de silences, car il est des choses qu’il ne veut pas dire tant elles lui font mal et tant leur récit lui paraît inutile – ce moment par exemple où son père, lors d’un simulacre d’exécution, a fait sous lui. Sa raison, elle aussi, butte, devant l’impensable – la possibilité de l’assassinat des siens, sans lui.
On retiendra de ce texte, en dépit d’un sujet que certains trouveront rebattu, et en plus d’un dénouement dont la violence contraste avec la douceur du ton, la beauté de l’écriture et l’immense poésie. Poésie dans la capacité de ce jeune garçon à puiser en lui, malgré la terreur, malgré la faim, malgré l’abandon, l’émerveillement face à un ciel étoilé comme jamais il ne lui a été donné de voir :
« J’aimerais retourner là-bas rien que pour le ciel
la nuit
la magie des étoiles ».
Dans sa disposition, aussi, à transformer la privation extrême dont il est victime en don (« Amir m’a offert des choses si belles que je ne peux pas en parler »). Ses cris de joie en découvrant des milliers de peintures préhistoriques dans la grotte qui lui a servi d’abri, et la facilité avec laquelle il a imaginé et dialogué avec ces « hommes d’avant », auteurs de ces dessins de girafes, de gazelles, de crocodiles au temps où il y avait là un lac et une nature luxuriante. Les forces qu’il a réussi à capter en posant sa main sur l’empreinte de celle d’un de ces hommes « d’avant » (« d’avant les monstres »), dans cette grotte qui ressemble à un ventre où il a fini de croître. Mais encore à travers ce qu’il entrevoit en contemplant ce paysage désertique : « le cimetière du monde ». Son aptitude, enfin, à faire de la solitude absolue, effrayante qui lui a été imposée, un « cadeau ».
Pour tout cela, il le déclare tout net, il « serait prêt à recommencer ».
Baptiste n’est peut-être pas si mort qu’il le croit, en dépit de l’horreur qu’il a traversée. Car là-bas, malgré ceux qui voulaient sa mort et la mort des siens, il s’est trouvé, et a trouvé, comme jamais auparavant, le monde et les autres – ou les a recréés.
Juliette Rigondet
Juliette Rigondet est journaliste, notamment pour le magazine « L’Histoire », et auteure. Elle a publié en 2016 « Le Soin de la terre », un récit littéraire aux Éditions Tallandier.
Elle anime des ateliers ouverts en librairie, et des formations à Aleph-écriture, dont: Oser écrire. Son prochain module se déroulera à partir du 23 avril à Paris. Son prochain atelier ouvert : le 21 mai à la librairie « Comme un roman ».