Cette semaine, Alain André vous propose d’écrire à partir du roman de Tanguy Viel, Article 353 du code pénal (Minuit, 2017). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 31 mars à l’adresse : atelierouvert@inventoire.com
Extrait
« (…) Et puis donc, la police, l’arrestation, tout s’est passé calmement. Ils ont usé des formules qu’on use dans ces moments-là. J’ai pris mon manteau à l’entrée et je les ai suivis sans rien dire. Je crois que c’est à ce moment-là qu’il a commencé à pleuvoir un peu, une bruine sans vent qui ne fait pas de bruit quand elle touche le sol et même enveloppe l’air d’une sorte de douceur étrange à force de pénétrer la matière et comme la faisant taire. Là, en même temps que je présentais mes poignets aux policiers comme si c’était une vieille habitude, j’ai jeté un dernier regard autour de moi, vers la terre abîmée, la mer en contrebas. Je me suis dit que désormais j’aurai le temps de la regarder, la mer, depuis les fenêtres de ma cellule. Puis les deux flics m’ont poussé à l’arrière du fourgon et ils m’ont fait asseoir sur le banc de plastique collé à la tôle. Là, je me souviens, dans l’inconfort de la camionnette qui traversait le pont, sursautant à chaque nid-de-poule de la route fatiguée par le poids des remorques et des bateaux de dix tonnes, là, par la vitre arrière qui accueillait la bruine, on aurait dit que le ciel essayait de traverser le grillage pour se mettre à l’abri lui aussi, et ça faisait comme un rideau de tulle qu’on aurait posé sur la ville et qui ressemblait à notre histoire, oui ça ressemble à notre histoire, j’ai dit au juge, ce n’est pas du brouillard ni du vent mais un simple rideau indéchirable qui nous sépare des choses. »
Proposition d’écriture
Ainsi s’achève le prologue du nouveau roman de Tanguy Viel, Article 353 du code pénal (Minuit 2017) — prologue que chacun peut lire sur le site des éditions de Minuit.
Ce qu’on a appris en quelques pages, de la bouche du meurtrier lui-même, paraît plutôt simple. Comme le précise la quatrième de couverture : « Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d’être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l’ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis, surtout, les miroitants projets de Lazenec. Il faut dire que la tentation est grande d’investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu’il soit construit. »
L’intéressant, ici, c’est que le meurtrier est plus sympathique que la victime. Lazenec est un authentique escroc, on ne le regrette pas, d’autant que Viel a la délicatesse de nous épargner assez longtemps les détail de son exécution. Alors justement : et si vous rêviez un peu, vous aussi, à un délit en quelque sorte sympathique ? Bien sûr, il peut s’agir d’un meurtre, il m’arrive parfois, dans le monde qui est le nôtre, d’avoir envie de pendre un banquier, et on sait que la passion peut mener loin. Mais vous avez le droit de pencher vers une autre sorte de délit : vol à main armée, ça peut être tentant aussi, parfois. Ou bien ?
En tout cas, imaginez une situation dans laquelle votre narrateur a pu être conduit à passer à l’acte. Songez au récit bref qu’il est possible d’en tirer. Après tout, l’argument d’Article 353 du code pénal, réduit à l’os, se résume à peu de choses : un ouvrier divorcé et licencié assassine le promoteur immobilier qui l’a arnaqué en lui faisant investir toute sa prime de licenciement sur un projet qui relève de l’escroquerie pure et simple.
Ensuite, ma foi, faites passer votre délinquant aux aveux. Il s’adresse soit à un proche (une épouse, un père, un ami), soit à un officiel, gendarme, inspecteur de police, juge, à vous de voir.
Mais attention ! D’une part, on ne saura pas tout de suite à qui il ou elle s’adresse, parce que, dans votre dernière phrase, vous ferez comme Tanguy Viel à la fin de son prologue : vous intègrerez « j’ai dit au juge », ou « j’ai dit à mon mari », ou « j’ai dit à l’inspecteur », etc.
Et d’autre part, toujours à la fin, après avoir dit à qui votre délinquant s’adresse, vous finirez la phrase en beauté : comme Martial Kermeur, votre narrateur ou narratrice lâchera quelque chose qui justifie son passage à l’acte. C’est le « une vulgaire affaire d’escroquerie » de Kermeur, qui accuse la victime, et pas lui-même. C’était déjà ainsi dans les célèbres Crimes exemplaires de Max Aub : le meurtre est moins de la faute du criminel que de celle de la victime. Allez-y. Vous allez voir, ça fait du bien…
Lecture
Tanguy Viel est encore un jeune auteur. Il est né en 1973, à l’époque où la Chine de Mao cessait de me faire rêver, et à Brest, ce qui est essentiel, même s’il est parvenu, au moins par périodes, à vivre dans des cités aussi exotiques que Bourges, Tours, Nantes ou Orléans.
Son premier roman, Le Black-Note, a été publié par les éditions de Minuit en 1998. Sont ensuite parus chez le même éditeur Cinéma (1999), L’Absolue perfection du crime (2001), qui a reçu le prix Félix Fénéon, Insoupçonnable (2006), puis Paris-Brest (2009), La Disparition de Jim Sullivan (2013) et donc Article 353 du code pénal (2017), le septième et provisoirement dernier. Je lirai ceux que je n’ai pas encore lus, Le Black-Note et Cinéma, sans problème, à l’occasion, parce que la prose de Tanguy Viel, dans l’écurie nombreuse des éditions de Minuit, constitue un plaisir qui se situe entre la lecture d’un Jean Echenoz (Les Grandes blondes, Je m’en vais), ou d’un Yves Ravey (Bambi Bar) pour l’humour féroce de l’intrigue.
Tout ça, autrement dit, renvoie plutôt à des histoires de garçon, à un vrai souci d’élégance, mais aussi à une fascination entière pour les arcanes de la fiction. Ça se lit plutôt facilement, dans le train, en deux heures on a fini, on a pris une note ou deux pas plus, c’est léger, on respire bien, la vie de lecteur c’est vraiment pas mal, on est déjà arrivé, l’histoire est terminée, et on en a eu pour son plaisir, vraiment.
Après la scène de l’aveu initial, le récit est construit en trois parties, de 60, 68 et 22 pages — c’est facile, chez Minuit, on a un feuillet standard par page imprimée, 30 lignes de 50 signes. Six, neuf puis quatre courts chapitres, soit la totalité du récit de Kermeur au juge, chute incluse, car on a là un récit à suspense, doté d’une chute magnifique.
Au cours de la lecture, je me suis souvenu de Lettre à mon juge, de Georges Simenon, lu quand j’avais dix-huit ou vingt ans, et ce petit recueil de nouvelles archi-brèves intitulé Crimes exemplaires, de Max Aub, réédité périodiquement, et qui rassemble des récits de criminels qui, évoquant leur crime, ne peuvent s’empêcher de les justifier de nouveau. Un seul exemple, celui dont je me souviens toujours par cœur : « Il m’avait mis un glaçon dans le dos. Le moins que je pouvais faire était de le refroidir ».
Mais les « secrets de fabrication » de Tanguy Viel sont un peu différents. Il y a certes la rapidité, ça ne traîne pas, et le centrage de l’histoire, qui compte peu de personnages, et le fait de commencer après que tout a déjà eu lieu, de sorte que l’on sait tout et que le suspense qui se met en place est surtout lié à la relation entre le prévenu et son juge. Mais le roman n’est pas seulement un récit bien conduit. Il y a l’humour, celui de Kermeur, autant dire celui de Tanguy Viel. Il y a l’empathie, aussi : c’est bien pour l’assassin qu’on se prend de sympathie, et pour sa femme et pour son fils Erwan. Le fait que tout soit écrit du point de vue de Kermeur y contribue grandement (du point de vue de la mouette aussi, bien sûr, qui symbolise le destin, mais c’est une autre affaire), d’autant que Tanguy Viel procède pendant longtemps à l’ellipse habile du geste meurtrier proprement dit. Mais surtout il y a la voix : on entend celle de Kermeur, constamment adressée, tendue, et à travers elle celle de Tanguy Viel, qui sait faire dire à Kermeur ce que la plupart des prévenus, même dans cette situation, ne saurait vraisemblablement pas dire.
Cet assassin vraiment sympathique représente la grande réussite du livre, son étrangeté comme sa justesse. L’époque qui veut ça, sans doute…
A.A.
Alain André a pris l’initiative de créer Aleph-Écriture en 1985. Auteur de romans, de fictions brèves et d’essais, il conduit des ateliers d’écriture à La Rochelle pour le compte d’Aleph, dont il est le directeur pédagogique. Il conduit à partir de mars 2017 un module de la « Formation générale à l’écriture littéraire » intitulé : « Écrire à partir du réel ».