Vos textes à partir de Velibor Čolić « Manuel d’exil »

Il y a 15 jours, Alain André vous proposait d’écrire à partir du dernier roman de Velibor Čolić, Manuel d’exil. Comment réussir son exil en trente-cinq leçons (Gallimard, 2016). Voici les 4 textes que nous avons sélectionnés. Nous vous remercions tous de votre participation!!

 

Nicolas Vaissière

Comment réparer un cœur brisé

Commencez par vérifier qu’il n’a pas de défaut de fabrication. En cas de fragilité manifeste du mécanisme, tournez-vous vers vos géniteurs et intentez un procès en malfaçon. Aucune chance de regagner vos pertes, mais ça vous soulagera.

Réamorcez la pompe en l’exposant à quelque objet de son affection : nièce ou neveu, chien ou chaton, démarrez par des sollicitations modestes pour éviter une rechute rapide, voire un enrayage définitif. Montez en puissance et constatez les éventuels dégâts. Recommencez jusqu’à plein régime. Faites ça dans un cadre familier pour disposer du matériel de première urgence au cas où ça tourne mal (épaule amie, comédie anglaise, alcool fort). Ne vous fiez pas aux conseils de proches prétendument experts en mécanique cardiaque : chaque engin dispose de son mode propre.

Quand vous pensez le vôtre à nouveau opérationnel, pratiquez un test en vraie grandeur. Exposez votre cœur à une inclination nouvelle, une rencontre inédite. Soyez attentif à ses réactions, démêlez les emballements effectifs des sursauts parasites. Surveillez l’accélération des battements, l’adéquation entre stimuli sensoriels et réponses graduées de la machine. Faites durer : c’est l’endurance ici qui nous intéresse.

Si le fonctionnement ne se rétablit pas après plusieurs mois d’essais, il vous reste à débrancher votre appareil et à rejoindre la cohorte des sans cœur. Rassurez-vous : contrairement à ce que beaucoup croient, il ne s’agit pas là d’un organe vital.

N.V.

 

Delphine Duhoux

Comment survivre à la traversée d’un passage piéton sur un grand boulevard parisien

Regardez d’abord à gauche et à droite, de façon certes succincte, mais néanmoins scrupuleuse. Mesurez ainsi l’ampleur du défi propre à votre projet.

Fermez ensuite les yeux. Bercé par les divins klaxons et mélodieuses insultes franciliennes, imaginez la suite. Les chances de survie d’une souris dans une fosse aux lions sont supérieures aux vôtres. La main sur votre cœur, faites une estimation de son rythme : il est digne de la démesure de votre future fanfaronnade pédestre.

Réfléchissez vite et bien : peut-on faire confiance à un conducteur parisien ?

Vérifiez une fois encore l’étendue de la menace bilatérale. Tentez le tout pour le tout : posez un pied provocateur sur le passage pour piétons. Après tout, vous êtes prioritaire, ces brutes infractionnistes finiront bien par l’admettre, non !?

Stop !

Ne surestimez jamais l’humanité du conducteur parisien moyen.

N’avancez surtout pas ! Bien au contraire, reculez fissa, c’est une question de vie ou de mort.

Calmez-vous, inspirez, puis expirez profondément ce pur air pollué. Profitez de ce sursis que vous accorde la Ville Lumière.

Levez le bras droit en l’air et faites signe au premier taxi.

Expliquez-lui que vous voulez juste qu’il vous achemine de l’autre côté de la rue.

En faisant le tour du rond-point cent mètres plus loin.

Une fois assis dans le taxi, sortez de votre portemonnaie un billet de 50 euros.

Cela devrait suffire pour cette fois-ci.

D.D.

 

 

Marina Caetano-Viellard

Comment prendre la ligne 13 du métro parisien 

 

1) Si vous êtes à Paris et que vous voulez atteindre la station Saint-Denis Université avant neuf heures du matin, accordez-vous une séance de méditation avant de sortir de chez vous.

2) A la station gare Saint-Lazare, cherchez la ligne 13, mais sans vous arrêter : les passants vous rentreraient dedans.

3) Dans le couloir qui précède le quai, restez calme lorsque l’amas humain se forme. Observez le mouvement de la foule, choisissez le bon moment pour y pénétrer et marchez au même rythme que les autres. Sur le quai, laissez-vous porter pour vous approcher d’une porte automatique.

4) Si le prochain métro se dirige vers Asnières-Gennevilliers, ne restez pas trop près de la porte, mais assez près quand même pour pouvoir prendre la rame suivante, vers Saint-Denis Aubervilliers.

5) Lorsque votre rame arrive, entrez et enfoncez-vous le plus possible. Ne vous inquiétez pas si vos pieds ne touchent plus le sol, car à chaque arrêt, le déplacement collectif vous permet de bouger.

6) Si vous vous retrouvez près de la porte, préparez-vous pour l’arrêt suivant. Il faudra sortir pour laisser passer les autres voyageurs.

7) Lorsque le signal retentit, entrez à nouveau dans le métro. Si tout le monde vous passe devant et que vous restez sur le quai, laissez passer la rame qui part vers Asnières-Gennevilliers. Reprenez les instructions au 5), autant de fois que nécessaire pour arriver à destination.

 

M.C.

 

Véronique Dubois

Comment (et pourquoi) réussir son foie gras au torchon

 

Décomposer ton objectif final en sous-objectifs, voilà comment tu dois faire. On te l’a déjà dit mille fois. C’est pourtant simple, non ? Tu vois toujours trop grand, mon gars. Tu brasses trop large. Un peu de structure, un peu de méthode… Comment ça, je ne comprends rien ? Ce que tu veux, c’est simplement réussir ta vie ? D’accord. Pourquoi pas. Après tout, c’est un objectif comme un autre… Comment tu dois t’y prendre ? Pareil. La découper en petites tranches. Réussir aujourd’hui, réussir la semaine, réussir le mois… Réussir Noël, surtout. Oui, « réussir Noël » est impératif. Je l’ai lu partout. Non, je ne plaisante pas. Jette un coup d’œil aux magazines autour de toi. Le secret c’est de planifier. De s’y prendre à temps. Et comment atteindre l’objectif « réussir Noël » ? En le décomposant en sous-objectifs, pardi ! J’entrevois deux étapes incontournables : « réussir sa buche » (sans passer chez Picard) et « réussir son foie gras au torchon » (sans passer chez Fauchon). Mon conseil : lance-toi d’abord dans la confection d’une confiture d’oignons. Ensuite tu sècheras tes larmes et tu commenceras à dénerver – ou déveiner, c’est comme tu veux, les deux sont vilains – le foie gras. Tu le placeras dans un plat, tu l’épiceras et tu le saleras à ta convenance. Tu ajouteras 12 cl de cognac et tu laisseras reposer 48 heures au réfrigérateur. Tu ne rangeras pas la bouteille de cognac : tu te serviras un petit verre et tu iras t’installer dans le canapé. Pour profiter de la soirée ? Pas du tout, tu n’as rien compris : pour te donner le courage de planifier les étapes ultérieures, plutôt. Deux jours plus tard, il faudra le cuire, ce foie gras… Ce n’est pas de tout repos, tu sais, la voie de la réussite…

V.D.

 

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