Il y a 15 jours, Solange de Fréminville vous proposait d’écrire à partir du dernier ouvrage d’Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles (Finitude, 2016). Une proposition qui vous a enthousiasmés puisque parmi les nombreux textes reçus, en voici 13 ! Nous vous remercions tous de votre participation.
Julie Boston
Pour la bonne cause
Mars 1972. J’avais dix-sept ans, mon frangin quatorze. Quand il ne séchait pas ses cours, Dédé faisait le guignol en classe, capable de galvaniser les foules. Les convocations tombaient dans la boîte à lettres au même rythme que le Reader’s Digest. L’autorité paternelle régnait à la maison, façon Code Civil Napoléon, et chaque entretien avec le principal du collège était suivi d’une séance de gifles. Parfois pire. Notre mère n’avait pas voix au chapitre. Sa copie de Dolto, empruntée à la bibliothèque, restait cachée dans le garde-manger.
Un jour, Dédé a pu intercepter la lettre. Le principal avait adressé un message sans équivoque : dernière convocation, renvoi en perspective.
Il y avait urgence. Notre père s’était déjà renseigné sur un établissement militaire en Angleterre, douches froides, courses à pied à l’aube comprises. « Si cela convient pour les fils de la Reine, faut pas chercher plus loin ! » Sa décision aurait été sans appel. J’avais lu la détresse dans les yeux de ma mère.
Alors, j’ai piqué une de ses robes, ses bas et ses chaussures, son chapeau. Cheveux en chignon, visage fardé à bloc, je me suis pointée à ce rendez-vous de la dernière chance.
Le directeur m’a écouté avec une politesse touchante. Mon mari étant très souffrant, l’expulsion de son fils risquerait de l’achever. Je surveillerai mieux l’affaire. Quant à Jean-André, j’en ferai un enfant modèle.
Nous nous sommes quittés, ce directeur et moi, en nous confondant en civilités.
J.B.
Muriel Oldfield
Vingt années je fus la gardienne du temple écroulé de ma mère, tenant à bout de bras, de rires et d’incohérences merveilleuses, les reliques d’une vie en partance.
Au matin dans notre galerie je voguais, fière et volubile, de photo en portrait, les interrogeant à voix haute. Que me dis-tu aujourd’hui?
Ainsi je tissais la saga d’un roman familial.
Je poussais chaque jour la porte de la chambre, toute légère de mes pensées secrètes. Je les déposais au pied du lit, souveraines arrogances fraîchement cueillies dans la galerie dont je sortais à peine.
Comment te sens-tu, petite maman ? Je prenais ma voix de fillette avec grâce et naturel.
Une lettre de François ! minaudait petite maman. Lis-là moi, veux-tu ?
Penchée sur un feuillet très pâle, je me signais et annonçais avec émotion que l’oncle François était devenu grand-père. Dieu que mon frère doit être heureux ! s’exclamait petite maman au bord des larmes. Ta sœur est-elle prévenue ?
Ma jumelle, dont L’éloge de la fuite est le livre de chevet, s’invitait souvent dans la conversation. Oui, elle a fait parvenir un cadeau de notre part !
Maman jubilait. Elle est parfaite, n’est-ce-pas ?
Oui, petite maman, répondais-je sans haine. Et, je me rapprochais d’elle, gourmande, papa va rentrer fêter cet évènement avec nous !
Tu me dis toujours qu’il vient pendant mon sommeil, tu crois qu’il attendra cette fois ?
Depuis la galerie, papa m’adressa encore son tendre regard.
Il me l’a promis ce matin au téléphone. Tu dormais comme un ange…
M.O.
Régine Zeidan
Les papiers…
Je pouvais lui faire mal tant je suis volage. J’aime me mettre en scène et, pour la séduire, je nous inventais un avenir commun. Pour qu’elle m’aime plus encore, pour que ses rires s’envolent en éclats, pour qu’elle m’émeuve.
Nous nous voyions au restaurant ou au bar d’un grand hôtel. Nous nous quittions sans jamais nous allonger l’un près de l’autre. Elle avait pourtant mon cœur au bord de ses lèvres.
« Des fenêtres sur l’océan… La mer à perte de vue… Une immense pièce à vivre, on cassera les murs s’il le faut ! Au milieu, le piano »… Et je dessinais sur des bouts de papier pour mieux approcher le rêve. Elle me regardait doucement… « Des roses partout, dehors ». Elle acquiesçait et ses yeux noirs pétillaient. Pour un peu du bleu aurait jailli dans leur nuit.
« Notre chambre… tout au fond… Qu’en penses-tu » ? Plan à l’appui, j’interrogeais, corrigeais, recommençais. Elle s’y plongeait, s’y plaisait et ne mangeait plus. « Ton atelier… Au nord, de grandes ouvertures de lumière »… Elle me prenait alors les mains, fermait un peu les yeux, inspirait… Elle me flattait par tant d’inconditionnel abandon.
Elle laissait s’évader son regard de velours, noir. Je ne savais où l’emportaient mes mots. Je parlais, racontais… Puis, fouillant mes poches, je trouvais un carnet auquel je déchirais un feuillet pour offrir un squelette à mes dires. Elle se concentrait alors, confiante, abandonnée au sort de mes discours relatant la grande vie que nous allions mener.
Je voulais lui ravir l’étincelle de ses rires comme autant de fleurs des champs que j’aurais cueillies pour elle.
« On devrait faire construire notre maison, on aurait celle que l’on mérite ! Exactement comme nos plans»
Elle ne répondait pas, comme si, jamais la décision ne lui appartiendrait.
R.Z.
Olivier Martial
J’ai commencé à écrire à mon père trois mois après la mort de ma mère. Jeune, il avait connu un succès critique avec son premier roman. Des articles élogieux lui avaient promis une carrière radieuse. Il ne s’était jamais accommodé de l’accueil frileux de ses livres suivants. Malgré sa discrétion et sa douceur, je le savais plein d’amertume de n’être pas considéré pour son œuvre.
Le choc du veuvage fut terrible, une dépression qui précipiterait sa fin. Finalement, je ne connaissais rien de cet homme proche de la mort et qui m’avait donné la vie. Ma mère m’avait raconté ce père pudique comme on raconte un roman. Alors pourquoi pas ? Les premières lettres de fidèles lecteurs eurent un effet immédiat, il se remit à manger. D’autres missives lui parvinrent, plus détaillées sur les talents littéraires de cet écrivain injustement oublié. Il ne le savait pas mais j’avais lu tous ses livres dont je connaissais les défauts comme les qualités. Peu à peu, il retrouvait son énergie. Mon père ne se vantait pas de recevoir tant de compliments, évoquait seulement le ton chaleureux d’une lettre ou l’émotion d’un lecteur passionné. Bientôt, l’engouement de quelques célébrités eut raison de sa modestie naturelle. Une lettre traînait sur la table, la signature bien visible. Bien sûr, je nous trouvais pathétiques. Moi l’apprenti faussaire et lui qui se réconfortait d’une admiration inventée. Mais il semblait avoir trouvé ce qu’il avait tant cherché. Bien plus que la confirmation de son talent, c’était celle de son existence, commencée dans la violence d’une famille qui ne le désirait pas. Moi, je lui écrivais enfin ce qu’il ne m’avait pas appris à lui dire. Et parfois, passée l’évocation de ces admirateurs, mon père, détendu et souriant, s’intéressait à moi.
O.M.
Anouk Wortimmer
Être dans les étoiles
Quand j’étais adolescente, elle partait souvent dans une urgence qu’on ne pouvait contredire. Elle emportait toujours sa vieille caméra qui ne marchait plus. Mon père la suivait discrètement. Dans la rue, presque en extase, elle « photographiait » tout et n’importe quoi. Je restais à la maison et préparais la nouvelle exposition avec des photos découpées dans les magazines. Je mobilisais aussi les copains fidèles. En quelques minutes de belles images exotiques ornaient les parois du salon. Ma mère, reporter intrépide dans l’âme, revenait de ses vadrouilles et enchainait avec le ‘vernissage’. Elle se pavanait heureuse saluant les copains qui la félicitaient. C’était le bonheur.
Je devins adulte, papa mourut. L’état de maman empira, on l’hospitalisa. Et sa nouvelle lubie fut qu’elle voulait absolument photographier l’espace. Alors, je lui organisai une expédition. Les soignants en blouse blanche devinrent les employés de la Nasa et le docteur le commandant de la fusée. Le grand départ arriva. Pendant que sa main serrait la mienne, je lui décrivais le décollage d’Apollo ; j’enviais sa chance de passer à l’histoire comme la première photographe cosmonaute et j’admirais son courage. Ses yeux brillaient de gratitude. Le masque d’oxygène était son scaphandre et le compte goutte contenant le médicament palliatif la source d’alimentation pour son voyage. Elle quitta la terre le sourire aux lèvres. Aujourd’hui, quand je regarde les étoiles, je sens qu’elle m’observe. Suis-je également un peu folle ?
A.W.
Cathy Fourne
Tout part de ce dernier cliché pris par Daddy à l’Epicerie, John : un grand plat de haddock fumé avec son riz au curry, ses légumes et ses œufs, une bouteille de rosé, posés sur une nappe de carreaux rouges. Notre kedgeree anglais du dimanche matin était devenu le rendez-vous incontournable de notre petite communauté d’expatriés un peu décalés en Ardèche.
Quand ton père nous a quittés, j’aurais voulu perpétuer pour toi ce souvenir de convivialité et de partage. Tu étais si occupé, John, et Calcutta… c’est si loin… Ne pouvais-je pas rêver encore à de joyeuses réunions dans notre café-restaurant à La Vallette ? Alors, pourquoi mes modestes peintures pleines de couleurs n’auraient-elles pas eu leur place sur les murs, en exposition au milieu des photos en noir et blanc ? N’aurait-il pas été habile de gérer une billetterie pour le ranch aux poneys et la visite aux chèvres sauvages ? Tu semblais te réjouir de mes projets et j’en arrivais même à entendre le claquement des boules de pétanque sur la place du marché quand je te décrivais la vie au village.
La réalité, mon cher John ? J’ai tout vendu très vite et j’ai mis l’argent à la banque. Et puis, je me suis retirée au milieu du silence et de la solitude. Mes dessins à la craie et à la cendre ne me laissent pas de repos. Gandhi le chien et un busard argenté blessé sont mes compagnons habituels. C’est ma vie. Elle est différente. As-tu à me pardonner mes mensonges ? T’enverrai-je seulement cette lettre ? Viendrais-tu me voir si je le faisais ? Mais faut-il vraiment toujours briser les rêves, mon fils ?
C.F.
Chris
Dans la chambre des parents
– Dis papa c’est quoi une cromotion ?
– Une pro-mo-tion. Tu sais, j’ai bien travaillé cette année alors mon chef va me donner des choses plus intéressantes à faire au bureau. Je te l’ai déjà expliqué plusieurs fois, tu t’en souviens ?
– C’est comme quand on a une bonne note à l’école et que la maîtresse nous donne une image ?
– Exactement ! Je vais aussi avoir plus de responsabilités et des nouveaux collègues à Toulouse.
– Hum… C’est loin de Paris, Doulouze ?
– Non mon chéri. Et si mon nouveau travail me plait, dans quelques mois vous viendrez habiter là-bas avec ta mère. On verra. En attendant on va s’organiser pour se voir souvent le week-end et pendant les vacances scolaires.
– C’est rigolo j’aurai deux maisons alors ?
– Bien sûr, et comme ta mère ne pourra pas toujours venir à cause de ses heures de garde à l’hôpital, tu me rejoindras quand même sans elle. On fera plein de choses et on va bien s’amuser tous les deux.
– Je voudrais bien venir te voir chaque week-end !
Dans le salon.
– Chéri dépêche-toi de fermer ta valise, le taxi est arrivé et ton avion décolle à 20 H.
– J’ai terminé mon amour, je descends !
Dans l’entrée.
– Thibault tu fais un gros bisou à papa et tu files dans ta chambre pour mettre ton pyjama, demain il y a école. Tu iras le voir samedi prochain. Tu prendras le train tout seul pour la première fois.
– Génial ! Au revoir mon papa. Tu vas me manquer.
– Au revoir mon chéri. Prends soin de ta mère en mon absence. Je vous aime très fort tous les deux.
Sur le palier.
– Appelle au moins ton fils quand tu seras arrivé.
– Ne m’emmerde pas ! On a dit qu’on le ménagerait le plus longtemps possible, je sais ce que j’ai à faire.
– Mon avocat prendra contact avec le tien dès lundi.
– Me fais pas chier maintenant avec les formalités du divorce ! Salut.
– C’est ça, casses-toi !
C.
Geneviève Lambert
Les mensonges du dépit amoureux
Elle était assise là au milieu du salon, attendant un signe qui puisse mettre fin à ma présence sur ces lieux. J’avais souvent imaginé la scène où je pourrais enfin exprimer le ressentiment inspiré par ces années de doute, de fragilité et de désarroi face à une situation que je ne maitrisais pas la plupart du temps. De par mes fonctions, j’étais souvent en déplacement ; je n’arrivais pas à savoir si cela lui déplaisait, bien qu’elle refusât de m’accompagner, ou de ce fait l’arrangeait. Je la rencontrais dans cet âge où la maturité donne une confiance en soi et une aptitude à regarder le monde avec détachement et sûreté.
Je m’enhardis, c’était ma dernière chance. « Je viens te dire adieu » dis-je dans un souffle. « Je viens, en effet, d’être nommé au poste d’attaché d’ambassade à Ho Chi Minh. Je crois que je m’y attendais, sans trop y croire. Cela m’a d’autant plus amusé que je savais que tu rêvais d’y retourner. Tu m’as donné tant de détails sur la vie que tu y menais, sur ce bonheur que tu n’as jamais pu, selon tes dires, retrouver. Je me fais déjà à cette idée d’une vie riche en évènements, en émotion, dans laquelle je pourrai laisser libre cours à mes désirs de puissance. »
Au fur et à mesure que je parlais, son visage s’allongeait, ses lèvres tremblaient. Je triomphais. Faute de la reconquérir, j’avais touché un passé qui avait rempli sa vie et que j’allais revivre à sa place.
Je m’inclinai, me dirigeant vers la sortie, me demandant soudain où j’allais pouvoir me terrer pendant un certain temps.
G.L.
Inès Dalery
Les plus belles histoires d’amour sont celles qui n’ont jamais existé. En ce matin lumineux et froid de Toussaint, tata venait de partir rejoindre Joseph, c’est le bon jour, avait-elle murmuré. Le mauvais jour quand tata quitta son deux pièces pour la chambre de la maison de retraite, le sac fripé d’où elle tira une carte postale jaunie, racornie, qu’elle posa sur la table de chevet, le visage raide et grave d’un poilu inconnu sur fond de drapeau français. Mon Joseph, le plus bel homme du village, toutes les filles le reluquaient mais il m’avait choisie moi, dans un seul regard. Dis tata raconte et elle racontait Joseph le charpentier, ne pleurant pas sa peine au travail, toujours à plaisanter, à donner un coup de main, et ce jour de bal du 14 juillet où son regard avait caressé le sien, s’était contenté de sourire…de loin. J’étais plantée près de la piste de danse, je regardais les couples valser, il quitterait la buvette et les copains bruyants, et soudain il serait là derrière moi, voulez vous danser avec moi?…mais rien. Tata, il prolongeait le plaisir de te regarder, attendait le bon moment loin des gars avinés. Un détail par ci une question par là, nous construisions le roman de Joséphine et Joseph. Dis tata raconte et tata racontait fièrement que ce 14 juillet 1914 il avait préféré la souris grise, comme disait sa mère, à sa sœur aux cheveux flamboyants, c’est sûr tata il a préféré ton sérieux. Elle racontait le jour de la batteuse, le lendemain de la déclaration de guerre, elle allait donner à boire aux hommes, il la frôla, il allait lui parler, elle en était sûre, oui tata il allait parler. Joseph, tué au chemin des dames, le rêve d’amour de tata.
I.D.
Lucie
On ne s’habitue jamais vraiment à voir vieillir ses parents
C’était pour moi chaque fois un choc de retrouver mon père dans sa maison de retraite. Je ne voyais d’abord que son corps décharné. Je frissonnais en embrassant ses joues qui me semblaient être en papier. Mais très vite, sa vivacité, son humour me rappelaient qui il était.
Un jour, étonnée de pas le trouver dans la salle commune, j’interrogeai les infirmières. Elles m’expliquèrent qu’elles l’avaient trouvé très fatigué ce matin-là et qu’il avait préféré rester se reposer. Quand je pénétrai dans sa chambre, je le trouvai si fragile noyé dans ses draps.
Mais quand il m’a vue, il a souri, et comme à chaque fois, la magie a opéré.
Il a ouvert la bouche : « Pierre n’est pas là ? »
Je n’ai pas tout de suite compris. Pierre n’était pas là bien sûr. Pierre n’était déjà plus là depuis longtemps.
A l’approche de la mort, le cerveau de mon père avait effacé de sa mémoire le grand drame de sa vie. La perte de son fils.
C’est alors que j’ai commencé à ressusciter mon frère.
Mais je n’ai pas parlé de la fin de son existence malheureuse, de ses colères, sa violence, son mal-être, son suicide que nous avions fait semblant d’occulter.
J’ai redonné vie au Pierre flamboyant. Ce grand frère merveilleux qu’il avait pu être autrefois. J’ai inventé celui qu’il aurait pu être s’il ne s’était pas laissé tuer par ses démons. Pierre et son sourire enjôleur. Pierre à l’imagination si débordante qu’il embarquait tout le monde dans ses histoires rocambolesques.
Je me suis fabriqué le frère idéal que nous avions tous tellement aimé.
Mon cher Papa, Pierre n’a jamais pu venir à ton chevet car il voyageait dans des contrées lointaines et faisait rêver les enfants de la terre entière avec des contes fantastiques. Mais toujours bien sûr il a pensé à toi.
L.
Marina Caetano
« Quand l’horloge de la mairie tomba en panne, le temps s’arrêta dans le village… ». Depuis toute petite, ma grand-mère me racontait des histoires mirobolantes et me décrivait un avenir fantasque en me lisant les lignes de la main. A 25 ans, c’était à mon tour de la faire rêver. Elle me voulait aimée. Alors, à chacune de mes visites, je m’inventais muse et séductrice, et ses yeux pétillaient à l’évocation de ces hommes qui me faisaient la cour. «Hier, Laurent est venu me chercher en tandem. Sur le guidon, il avait accroché une tête de cheval en bois. Puis, drapé d’une cape, il m’a enlevée pour la soirée». Mamie était aux anges. Je lui ai aussi conté Manu, qui me dédiait des poèmes, déclamés à haute voix dans le métro, sur le quai d’en face, tandis que je partais en sens inverse. Mais l’histoire qu’elle avait préférée était celle de Luc qui, après l’amour, se mettait à chanter et à danser la samba au beau milieu du salon, pour célébrer l’instant, nu comme un ver, son sexe se balançant de gauche à droite. Nous rigolions comme deux adolescentes. Son rire était merveilleux. Moi, je rêvais d’un homme au regard ému qui m’arracherait à la ville, sur un coup de tête, pour aller dîner face à l’océan. Juste comme ça, pour imaginer ensemble l’immensité des partages à venir. Je l’ai inventé un soir où nous dégustions des fruits de mer, dans une brasserie parisienne, décortiquant chaque crevette, suçant chaque pince de crabe. «J’entends la mer», me dit-elle. J’avais de qui tenir.
M.C.