Il y a 15 jours, Hélène Massip vous a proposé d’écrire à partir du livre « L’arbre à poèmes. Anthologie personnelle 1992-2012 », d’Abdellatif Laâbi (Gallimard, 2015). Voici les 8 textes en réponse à cet appel à écriture. Nous vous remercions tous chaleureusement de votre participation!
Roberto De Sanctis
Ambivalences
Entre rêves et désespoirs
Entre combats et tourments
Je cherche la frontière
Un regard toujours porté vers l’arrière
Un pas toujours forcé vers l’avant
— Allo, docteur ? C’est pour un rendez-vous
Assécher mon stylo, blanchir le dictionnaire, apprendre le silence, et me taire à cœur ouvert.
Parfaire mon ignorance pour tout imaginer.
Arracher mes joies au taillis touffu de mes lassitudes, les offrir en bouquets.
Savoir chanter la Casta Diva.
Sublimer la chair et enjamber les lointains cosmiques pour contempler l’absolue perfection du chaos.
Être une heure, cher Jacques, une heure seulement, beau, beau, beau, beau et con à la fois.
Me racheter un train électrique.
Te tutoyer, jusqu’à l’indécence, et ne serait-ce que pour quelques secondes t’offrir l’éternité.
Vomir la morale et la honte, tirer la chasse, et oser ajouter à cette liste l’inavouable. Penser néanmoins à éteindre la lumière.
Prendre le frais sur les hauteurs de Gondolin, empêcher sa chute.
Regretter mes regrets, faire de l’absence un luxe.
Me poser quelques temps dans ce monde que je traverse comme une ombre sans destination clairement identifiée.
Dire à ceux que j’aime que je les aime, et que je les aime, et que je les aime.
Revenir en l’an dix mille, sous les soleils d’or, et lire sur ma tombe : Tu as pensé au pain ?
R. D-S.
Dans ce virage que prend ma vie
Je réfléchis trop … mais j’ai fini
Par renoncer aux regrets,
Aux silences, aux erreurs du passé.
Aujourd’hui, c’est le grand ménage de printemps
Dans mes rêves d’adulte, d’ado et d’enfant.
Jouer au poker à Vegas,
Bluffer, tout miser et sortir 4 as !
Comprendre Pythagore et les algorithmes.
Protéger mes enfants du cynisme.
Dire je t’aime, si le cœur m’en dit…
Prendre un café frappé avec Dali.
Écrire des mots, des images, des émotions.
Adorer, désirer, embrasser avec passion.
En un clic, être à New York ou Nouméa.
Au nord de Sydney, me construire une villa.
Écrire mon histoire et celles des autres.
Être vétérinaire ou astronaute.
Cueillir une fleur qui jamais ne se fane.
Effacer les cicatrices du corps et de l’âme.
Lire Lacan et tout connaître.
Marcher avec des talons de 15 centimètres.
Écrire encore et toujours, jusqu’à l’overdose…
M-H. M.
Nous devrions tous avoir un petit cahier de rêves depuis notre enfance la plus tendre. Nous devrions les écrire, tous : les minuscules, les farfelus, les irréalisables, les enfantins, les fantasques et les grands. Les écrire et puis les laisser s’évanouir ou grandir. Se souvenir de ceux qui ont habité nos 10 ans, nos 20 ans et la suite, se rappeler de tous ces rêves qui nous ont construits.
Ici, je consigne ceux de mes 24 ans et demi.
Transformer les mots en personnages, pour qu’ils nous tiennent compagnie les jours de solitude.
Dévorer la peur, la manger, toute crue. Faire un festin de toute cette trouille.
Vivre un bout de vie au Canada.
Laisser une bouteille à la mer remplie de mots et de douceur. Qu’elle soit un jour retrouvée.
Ne jamais conjuguer Papy et Mamie au passé.
Installer dans ma nuque, à la naissance des cheveux, un bouton on / off pour mon cerveau.
Avoir les jambes remplies de kilomètres.
Caresser comme l’on peint, que la douceur teinte les corps de toutes les nuances de bleu, azur, cobalt, céruléen…
Boire un thé avec Virginia Woolf.
Pouvoir librement converser avec la nature. Et oui, l’océan, prends moi dans tes bras d’embruns, il te faut me consoler.
Tricoter mes jours aux siens. Encore. Encore. Les nuits aussi. Des mailles régulières et bien serrées.
Ne jamais rien perdre de l’enfant que l’on a été. Garder la petite fille au fond des poches.
Avoir des nuages cousus aux épaules les jours de légèreté.
M.D.
François Momal
J’aime m’endormir sur une pensée sympathique ou érotique (rien de tel pour vous détendre) ou une petite réalisation de la journée qui s’achève (une petite victoire) et me réveiller sur un beau rêve étrange qui m’accompagnera toute la journée et lui donnera son intime saveur, saveur forcément connue de moi seul. En vrac :
Interviewer Sartre et lui demander ce qu’il entend par « mauvaise foi ».
Plonger avec 200 bars dans ma bouteille et remonter avec 120 bars.
Souffler dans l’oreille de Michel Gallimard qui conduit la Facel Vega, dans laquelle Albert Camus occupe la place du mort, de lever un peu le pied de l’accélérateur.
Ramasser un à un, dans la campagne, les feuillets épars du «Premier Homme » qui viennent d’être éjectés de la Facel Vega lors du choc contre l’arbre.
Trouver, en toutes occasions, la juste distance avec les autres.
Être un personnage dans un roman de Michel Houellebecq.
Goûter le vin servi aux noces de Cana.
Publier une bande dessinée.
Être aspiré, la nuit, par le ciel d’été pour aller flotter entre les étoiles.
Être une petite souris dans la chambre de Romain Gary le 2 décembre 1980.
Partager un cigare avec Jacques Dutronc.
Nager à la nuit tombée dans une piscine californienne puis, les bras croisés sur le bord du bassin, contempler au loin les lumières de L.A.
Redemander du même vin aux serveurs, toujours aux noces de Cana.
Faire l’amour toujours dans cette même piscine californienne.
F.M.
J’ai secoué les jours et les nuits
J’ai soufflé
sur mes rêves
J’en ai rattrapé un deux trois
au passage :
Lancer une chasse aux œufs de Pâques dans le jardin avec les enfants
Faire un croche-pied aux tueurs dans l’aéroport international de Zaventem
Savourer une Mort Subite dans un estaminet de Bruxelles sans que s’ensuive le chaos
Peigner la girafe
Chercher les fruits verts de la jeunesse, les trouver
Fumer la pipe du capitaine Haddock
Oublier mon père, ma mère
Mettre de l’ordre dans mon bureau
Sourire aux gens quand il pleut dans la rue
Assister aux dernières minutes d’une mouche ordinaire
Faire la révérence devant la reine d’Angleterre
Écouter le gazouillis des oiseaux du printemps
Voir pousser une carotte
Commander un croque-madame sans œuf au café du Commerce
Faire miauler le mot chat et puis marcher sur la queue du tigre !
C.F.
Au matin du voyage, serrer dans ma poche
le viatique de rêves :
Saluer « le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui ».
Marcher dans les pas de la rivière et
laisser filer le silence des poissons sous la plante de mes pieds.
Inventer mes racines, au-delà de l’épaisseur de l’humus d’exil.
Démêler leurs embrouilles d’immobilité et en
tresser l’échelle pour
tirer au jour l’enfant replié dans l’eau des songes.
Parler le langage des bêtes, les velues, les ailées et celles qui sont nues.
Entendre ce que se disent les feuilles et
sentir au creux de ma main les souvenirs des pierres.
Suivre, enfin, de village en village, le chemin de la belle Métaphore, porteuse de contes.
À midi, mordre encore l’orange de ton épaule offerte et
me rafraîchir à l’ombre d’herbe de tes cheveux.
Écouter sur les places, assise parmi les vieux, ce que dit la vie ancienne,
Sauter à la marelle des enfants et toujours ne pas vouloir cesser de jouer.
Courir, attraper les ficelles du vent,
Enjamber les vallons, arpenter les collines, filer les plaines.
Rattraper au soir le soleil qui bascule à l’horizon,
Glisser sur les genoux ronds de la Terre et
trouver une plage de l’autre côté de la nuit.
Échapper encore aujourd’hui.
M’endormir tout en haut d’un grand figuier berceur,
Rêver qu’« Un jour,
Un jour, bientôt peut-être,
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers ».
M.G.
Condensé de rêves
Cet hiver-là, alors qu’elle a approché la mort de près et qu’elle est en vie, elle range, trie, empile et fait une liste de ce qu’elle aurait aimé, de ce qui est encore possible, de ce qu’elle veut encore nommer rêves :
Vivre au bord de l’océan
Parcourir au grand galop le désert chilien
Boire un maté avec Julio Cortazar
Voir se réaliser la vision d’un monde de paix portée par Sri Sri Ravi Shankar
Passer une dernière journée, une journée parfaite avec sa sœur Anne
Faire une ultime et longue balade à vélo avec son grand-père
Revivre une journée de la petite enfance de son fils
Connaître une langue très éloignée de la sienne, une langue de l’Est
Voyager avec Rimbaud en Abyssinie
Écrire un haïku chaque jour
Méditer avec le Dalaï Lama
Parcourir des monts et des merveilles à bord d’une péniche
Oublier la chute d’Icare et recommencer
Tout recommencer
Prendre un café avec Fernando Pessoa dans sa brasserie lisboète au nom oublié
Emmener son fils à New-York
Assister au premier carnaval de Venise
Dîner un soir entre Olympe de Gouges et Simone Veil au Cannibale à Ménilmontant
Avoir du temps sans le compter
Être dans une beauté indéfectible
Arriver à Alger sur un paquebot et poursuivre la route jusqu’à Ghardaïa
Échanger des lettres avec Franz Kafka
N’oublier aucun rêve
O.B.
Rêves
En passant dans ce champ, je vis cet arbre au tronc imposant,
De ses branches, des feuilles, tant de jeunes pousses que de grandes et belles feuilles vertes, attiraient mon regard.
Je m’approchai et vis que chaque feuille, cachait en son sein un rêve, l’un de mes rêves, je les lisais un à un .
Lire, lire et lire encore,
Aimer tant et tant,
Penser haut,
Nager loin, loin, loin,
Cueillir des coquelicots et te les offrir,
Voir le monde et parler toutes les langues,
Jouer aux dés avec Victor Hugo,
Oser tout.
Que chacun parle vrai,
Pouvoir tout entendre.
Revivre mon premier amour parce que j’avais huit ans,
Ressentir la beauté du monde du plus loin de mon être,
Passer ma journée au cinéma,
Eradiquer la violence dans le monde,
Appuyer sur Pause,
Dire à Freud que tout va bien, enfin…
Courir dans l’herbe et sauter haut dans le ciel,
Vivre sur un nuage,
Pleurer des larmes de joie,
Contempler ton visage à la lumière d’une bougie,
Cesser d’hésiter et mordre la vie,
Et tous ces rêves ouvraient en moi de nouveaux rêves….
O.Q.