Alain André vous a proposé d’écrire à partir du grand roman de l’écrivain catalan Jaume Cabré : Confiteor (Actes-Sud, 2013). Voici un premier texte cette semaine, celui de Vincent Ader.
Les oranges flottaient dans les eaux sales du port. Elles avaient dû rouler sur le pont d’un navire arrivé la veille d’Alger et étaient venues rejoindre, en contrebas, les taches d’huile, les miettes de pain et les yeux roulants de quelques poissons morts. Une à une, elles venaient taper sur la coque du Djurdjura puis repartaient, nonchalantes, ballottées par le roulis paresseux des bords de quai.
Je n’ai jamais voulu revenir à Sète. J’avais promis de ne plus y mettre les pieds. La marche était trop haute, les odeurs encore stagnantes dans ma mémoire. Quand les médecins m’ont envoyé là-bas, c’est bon pour votre cœur, vous pourrez marcher autour de l’étang, ou jusqu’au Saint-Clair quand vous irez mieux, je n’ai pourtant pas trouvé la force de dire non.
Toute la matinée, j’ai regardé ces oranges danser. Va savoir pourquoi, j’ai vu dans chacune d’elles, perdues, pourries, sans volonté, ma vie flotter. C’est sur ce quai que tout a commencé et que tout devrait s’éteindre, c’est d’ici que je t’écris aujourd’hui, enfin. Étrange image que ces fruits sucrés dans une eau salée.
V.A.