Cette semaine, voici les quatre autres textes en réponse à la proposition d’écriture d’Arlette MONDON-NEYCENSAS autour du roman de Valérie Zénatti: « Jacob, Jacob » (Éditions de l’Olivier, 2014). Tout d’abord, le bouleversant texte de Tugdual Gedouin.
Fragile
Et s’il n’y avait pas eu à soigner cette leucémie, tu en aurais fait de ces choses ces trois dernières années, tu aurais ton atelier, tes commandes, tes essayages, tes mariages, tes salons, tu n’aurais pas été enfermée de longs mois pour empêcher que le moindre des rhumes n’emporte ce corps douloureux, au point que tu aies hurlé toute une nuit pour qu’on t’enlève les os des jambes, ce corps sans cheveu gonflé de corticoïdes pour te protéger, sans que cela n’empêche les préparations corrosives de brûler tes nerfs, ce corps aux organes atrophiés comme ceux d’une femme plus vieille de plusieurs décennies, et par dessus tout, dans un coin de l’atelier comme tu l’avais déjà fait pour notre fille, il y aurait un lit d’enfant, ce lit parapluie que nous avons vendu quand nous avons appris qu’il ne servirait plus. Le traitement est du passé, pour toujours n’est-ce pas ? Mais s’il n’y en avait pas eu, notre enfant et moi serions en deuil. Qu’aurions nous fait de tes cendres ? Toi qui voulais être enterrée à même la terre dans un linceul.
Elle n’est, peut-être, plus en toi, chassée des recoins de tes os où elle s’était tapie, attendant que les vagues de chimie cessent, mais c’est fini, nous lui avons coupé les vivre, elle s’est tue Elle ne reviendra plus, n’est-ce pas ? Tu es devenue si fragile. Tu fais le constat de ce que tu as perdu, les espoirs qui restaient à construire, les quelques efforts qui restaient à faire pour accomplir les rêves amorcés. Il faudra des années, peut-être ne suffiront-elles pas ? Pour que tes doigts puissent à nouveau jouer des tissus, aiguilles ciseaux et fils, et leur donner l’aspect que tu voulais précisément obtenir. Que faire de soi quand le corps et l’esprit sont remplis d’incertitude ? Apprendre à revivre sans doute, agir tant que nous avons encore du temps, et faire l’amour pour étouffer les doutes qui te submergent la nuit.
Tugdual Gedouin