Cette semaine, vous avez été nombreux à répondre à la consigne d’écriture d’Arlette MONDON-NEYCENSAS autour du roman de Valérie Zénatti: « Jacob, Jacob » (Éditions de l’Olivier, 2014). Nous avons sélectionné huit textes que nous publierons sur deux semaines consécutives. Voici celui de Marie Agnès DALLEAS.
Et si, toi, tu voulais – toi qui as vécu ta vie presque malgré toi – menée malmenée – toi qui n’as pas su cueillir le jour de tes âges passés, toi, si tu décidais c’est mon jour aujourd’hui, si tu t’appropriais ce jour, sa grâce, sa douceur, la caresse du vent léger sur ton front, la fraîcheur de l’eau limpide entre tes doigts, le parfum entêtant des lys blancs dans l’ombre verte de la tonnelle, le chant de noces des grillons, des grenouilles, si tu goûtais ce jour aujourd’hui comme un cadeau comme une friandise une framboise chaude gorgée de soleil, comme une note claire le chant du rossignol, comme un éclat de rire dans la gorge un sanglot fragile, toi si aujourd’hui tu choisissais de le faire tien, ce jour, de t’offrir des cabrioles dans l’herbe tendre, des surprises de baisers sur la nuque, si c’était ton jour au présent, un jour tout neuf tout blanc tout net comme une page vierge à colorer de mots, de rencontres, un jour inouï insensé à croquer malaxer déguster – chaque minute à dépiauter, chaque seconde à démailler, au fil du temps pêcher l’instant et sa saveur d’éternité – si c’était le grand jour de ton incarnation, du festin de ta vie – tout et rien – le temps de dévorer le vide, le jour de balayer les gris, de t’aventurer te couler t’enfoncer dans les noirs, d’y chercher les reflets de lumière, si ce jour était une aubaine, la radieuse occasion d’entendre de voir toucher goûter, la chance d’enfanter tes rêves pour de bon pour de vrai, et si c’était vrai que ce jour t’appartient, si tu pouvais enfin croire qu’il n’est qu’à toi qu’il t’est donné depuis toujours ce jour que tu as tant appris à craindre, si c’était vraiment vrai que ta vie est mortelle, qu’un beau matin un soir un jour demain peut-être, dans une heure un instant tu retourneras en poussières – poussières d’étoiles là-haut le noir – si c’était vrai tout ça que l’on t’a raconté, le jour la nuit la mort la vie le soleil et la mer, si c’était vrai – si tu y croyais, il serait grand temps de le vivre – et d’aimer, très gravement, sérieusement.
MA.D.