Cette semaine, voici le texte d’Olivier Martial, en réponse à la proposition d’écriture à partir du livre de Paola Pigani « N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures » (Liana Levi, 2013) à retrouver ici.
Sous les bandages
Assis sur le lit de son grand frère, l’enfant regardait le papier peint. Il aimait souvent prêter sa voix silencieuse aux petits personnages. Le mur devenait une rue de Belleville, un casino malfamé ou un centre d’espionnage ultrasecret. La répétition des motifs n’était pas parfaite. Comme un mensonge séduisant qui disait que la vie était là, tapie sous les couches, prête à surgir. Au milieu d’un interrogatoire musclé, le frère entra dans leur chambre. Il s’assit à côté de lui sans rien dire. Tous les deux assis côte à côte sur le grand lit. Le sien était un lit tiroir, celui qui se trouve sous celui du grand frère et que l’on tire tous les soirs au coucher. Tous les deux assis dans le silence, et les mains du grand frère entièrement recouvertes de bandages. Deux énormes paluches blanches à côté des deux petites mains fines. Tu as des doigts de pianiste, entendra-t-il souvent sa mère lui dire. Sans explication aucune, son frère était rentré de l’hôpital après un énième séjour. Ses mains n’arrêtaient pas de grandir sans que ni le père, ni la mère, ni le frère lui-même ne trouve cela anormal. Personne ne semblait triste ou inquiet ou même joyeux ou fier. Ces mains allaient prendre toute la place et la grande chambre deviendrait petite. Encore plus petite la place du petit frère. Certainement il finirait par dormir dans le tiroir. Tout ce que l’on peut se raconter sur des mains qui grandissent et qui sont cachées sous des bandages d’hôpital. Les bandages, c’est comme le papier peint, entre les couches, des histoires remplissent le silence. Le grand frère prit un livre de mythologies, puis s’allongea. Le petit comprit qu’il devait se lever.
O.M.