Cette semaine, en réponse à l’appel à écriture à partir du livre d’Antonio Tabucchi «Pour Isabel» (Gallimard, 2014) à redécouvrir ici, voici le texte de Nathalie ZIMMERLIN.
Mon téléphone émit un petit bourdonnement sec. J’étais en plein travail, je jetai un coup d’œil rapide au texto qui s’affichait. La réaction fut immédiate : sueurs froides, rire nerveux et larmes, tout à la fois. Je me suis jeté dans le fauteuil, j’essayais de retrouver mon souffle.
35 ans en arrière, elle m’avait dit « Je serai à la table du fond, à droite ». Rien ne pouvait m’indiquer qu’elle n’y serait pas, au contraire, elle semblait heureuse, avait une « grande nouvelle » à m’annoncer. Elle n’est pas venue. J’ai tout de suite été inquiet. On était dans une période trouble, il y avait la crise, les militaires au pouvoir. On disait que des personnes disparaissaient. J’ai fait tous les hôpitaux, tous les commissariats de Buenos Aires jusqu’à ce que Franscico me dise que ça suffisait, qu’il fallait que je me calme, que ça devenait dangereux. Personne ne l’a plus jamais revue et même après la fin de la dictature, on n’a trouvé aucune trace d’elle dans aucun registre. Franscico ne me lâchait pas, me répétait inlassablement qu’il fallait que je passe à autre chose, que je refasse ma vie. J’ai essayé, je vous jure, j’ai essayé. Je me disais que j’allais m’y faire, m’habituer à un autre corps que le sien et j’aurais bien voulu y arriver, me sentir au chaud dans une petite vie simple mais, quelque chose en moi le refusait, faisait bloc. D’autres femmes dans cette période, j’en ai connu mais au fond, ce que je traquais dans chacune d’elles, c’était elle, toujours elle. Finalement, je me suis installé là, dans cette solitude qui me va assez bien. J’achète sa dulce de leche préférée, je bois du thé vert au jasmin, je dors dans des draps à grosses fleurs roses et oranges parce qu’elle aimait tellement les fleurs et que je n’avais que ça pour me sentir encore avec elle. Avant bien sûr, ce texto: « Trouvé concordance ADN. Tel. moi vite! Signé Estrella ».
N.Z. Avril 2015
