« Ecrire à partir d’une histoire vraie »: Pierrette Fleutiaux et Tim O’Brien

Quand on écrit, il arrive que l’on parte d’une expérience personnelle. En atelier, nous disons souvent aux participants que l’important n’est pas de savoir si ce qu’ils écrivent est vrai, mais de faire en sorte que les lecteurs y croient. Alors comment transposer dans un texte de fiction une histoire qui s’apparente à la sienne ? Cette question du réel sera au centre des ateliers et des tables rondes lors de la conférence Aleph-Eacwp du 15 au 17 mai 2025.

Dans son roman Des phrases courtes ma chérie, paru en 1993, Pierrette Fleutiaux met en scène un personnage qui accompagne sa mère dans les dernières années de sa vie. C’est son histoire sans être vraiment son histoire.

Elle s’en explique dans le livre : « Je ne crois pas que la femme dont je parle soit ma mère, ni que le « je » que j’emploie soit moi. Au fur et à mesure que j’écris, une configuration prend corps, plus forte que moi et mes souvenirs, je m’aperçois bientôt que c’est elle qui domine, je ne peux m’empêcher de lui obéir. Inexorablement déjà : gommages, surimpressions, traits chargés ou effacés. »

L’auteur américain Tim O’ Brien évoque une expérience similaire. Dans son livre Les choses qu’ils emportaient, finaliste du prix Pulitzer, il retrace le parcours d’une compagnie de soldats plongés malgré eux dans l’enfer de la guerre du Vietnam – comme ce fut le cas de l’auteur. Au-delà de l’expérience, il évoque le processus d’écriture, le tamis à travers la mémoire passe pour aboutir au texte. Dans le chapitre « Comment raconter une histoire de guerre véridique », il raconte « une histoire véridique qui n’est jamais arrivée ». Car justement, où se trouve la vérité ?

« En racontant des histoires, vous rendez objective votre propre expérience. Vous la séparez de vous-même ». Tim O’Brien

Plus loin, il explique : « En racontant des histoires, vous rendez objective votre propre expérience. Vous la séparez de vous-même. Vous cernez certaines vérités. Vous en inventez d’autres. Vous commencez parfois avec un incident qui est réellement arrivé (…) et vous le projetez en avant en inventant d’autres incidents qui ne se sont pas réellement produits mais qui cependant aident à l’éclaircir et à l’expliquer. »

Pour déployer une écriture qui s’appuie sur l’expérience, l’outil du journal personnel est précieux. Il permet de récolter de la matière et de l’utiliser plus tard dans un texte de fiction. Si les sensations sont bien réelles on peut les prêter à des personnages et transposer une situation à une autre époque, sur un autre continent par exemple. Comme l’écrit encore Pierrette Fleutiaux : « J’utilise ma mère comme j’ai utilisé bien d’autres gens de ma vie, les lieux et paysages, et moi-même. »

On peut alors parler de « traduction » et c’est ce qu’évoque Salman Rushdie dans le chapitre « adaptation » de son livre Langages de vérité. »

Camille Berta

Pour aller plus loin, lire cet entretien avec Pierrette Fleutiaux réalisé par Pierre Ahnne