Nos conseils de livres pour Noël : « Long Island », Colm Tóibín (Grasset), par Alain André

Les animateurs d’Aleph-Ecriture vous proposent tout le mois de décembre leurs choix de livres à offrir pour Noël. Pour inaugurer cette liste, aujourd’hui, les conseils d’Alain André, fondateur d’Aleph, nous dit pourquoi il faut lire et offrir « Long Island » de Tóibín, qui pose en creux cette question : « Sommes-nous le lieu d’où nous venons, ou celui où nous arrivons ? »

« Long Island », Colm Tóibín (éditions Grasset, 2024)

Brooklyn

La littérature irlandaise contemporaine est pleine de vitalité, – et ceci sans avoir à remonter jusqu’à James Joyce. Edna O’Brien (Country girls), Claire Keegan (Ce genre de petites choses), Sally Rooney (Intermezzo), Jan Carson (Le fantôme de la banquette arrière)… Il y a des années que ces grandes dames nous comblent de leurs bienfaits. Et on peut aussi découvrir Colm Tóibín !

Lire Tóibín 

Colm Tóibín est né en 1955 à Enniscorthy, dans le comté de Wexford, au sud-est de Dublin, petite ville qui est au cœur d’une bonne partie de ses romans. Romancier, scénariste et journaliste, il est le lauréat de nombreux prix littéraires, notamment le prix du Meilleur livre étranger pour Le Maître, paru en 2004. Diplômé de l’Université de Dublin en histoire et en anglais, il est parti vivre à Barcelone de 1975 à 1978 avant de rentrer en Irlande, où il travaille comme journaliste quand il ne voyage pas en Amérique latine.

Les Éditions Grasset ont fait paraître à l’automne 2024 la traduction de son dernier roman, Long Island. Son roman précédent, Brooklyn (2009 et Robert Laffont, 2011), est disponible en Livre de poche : on peut commencer par Brooklyn, dont Long Island est la suite – vingt ans après. J’ai dévoré les deux avant de passer successivement à la plupart des autres textes de  Tóibín traduits en français par l’excellente Anna Gibson, qui suit le travail de l’auteur comme son ombre.

Nora Webster (Robert Laffont 2016 et 10/18, et Le Bateau-Phare de Blackwater (1999 et Denoël, 2001) reconduisent le lecteur, avec le même bonheur, jusqu’à la petite ville d’Enniscorthy. La couleur des ombres (Robert Laffont, 2014) est un recueil de nouvelles consacré au thème de l’exil – qu’exige une norme sociale étouffante. Le Maître (Robert Laffont 2008 et 10/18) est un roman biographique consacré à Henry James, tandis que Le Magicien (Grasset, 2022) propose une magnifique biographie de Thomas Mann – James et Mann l’ont marqué alors que Tóibín avait à peine vingt ans. Il est possible de remonter ensuite à des ouvrages plus anciens, comme La Bruyère incendiée (1992 et Flammarion, 1996) ou Histoire de la nuit (1996 et Flammarion, 1997), qui évoquent explicitement l’homosexualité de l’auteur. D’autres livres de Tóibín sont également disponibles, comme Le Testament de Marie (2012, Robert Laffont 2015 et 10/18) ou Nouvelles façons de tuer votre mère (2012, un essai consacré aux écrivains et à leur famille, pas encore traduit). Et avis aux cinéphiles : de Colm Tóibín , on peut aussi voir Retour à Montauk, de Volker Schlöndorff, dont il a signé le scénario (2017) et la belle adaptation de Brooklyn par John Crowley (2015).

« L’idée du point de vue. Explorer en profondeur ce qu’un individu voit, entend, sent, enregistre, remarque »

Et Brooklyn, alors ?

Dans les années cinquante à Enniscorthy, dans le comté de Wexford, au sud-est de l’Irlande, la jeune Eilis Lacey ne parvient pas à trouver un travail. Par l’entremise d’un prêtre, elle émigre à contrecœur à Brooklyn/USA.  Après avoir surmonté un intense mal du pays, elle découvre une vraie sensation de liberté et rencontre un émigré italien, Tony Fiorello, avec qui elle se marie secrètement juste avant de devoir rentrer au pays en raison d’un décès familial qui la bouleverse. Là, elle vit une brève idylle avec le fils du propriétaire d’un pub local, Jim Farrell. Brooklyn se noie peu à peu dans l’irréalité des rêves. Repartira-t-elle aux États-Unis ?

Tóibín s’empare de cette trame conventionnelle, fondée sur l’éternelle constance-inconstance des sentiments amoureux, pour nous faire toucher du doigt l’énigme que constitue l’exil. Sommes-nous le lieu d’où nous venons, ou celui où nous arrivons ? La présentation du double univers irlandais et américain est convaincante. L’auteur sait faire parler et agir ses personnages, surtout les femmes, qui sont les héroïnes de bon nombre de ses romans et savent souvent mieux « rebondir » que les hommes, même si tous sont exacts et particuliers, notamment grâce à leur ancrage irlandais. Sa maîtrise des dialogues – des silences, du dit et du non-dit, avec toute la palette des stratégies intermédiaires, retenue, sous-entendus, traduits par des ellipses, des syncopes et des dissonances -, fait merveille.

« Ce qui me fascine », explique Tóibín, « c’est l’idée du point de vue. Explorer en profondeur ce qu’un individu voit, entend, sent, enregistre, remarque. Je veux que mon lecteur s’immerge dans une conscience fictionnelle unique ». Il a les moyens de le vouloir. Et son talent a transformé mon mois de novembre 2024. Pourquoi pas votre fin de décembre ?

Alain André

Alain André est l’auteur de romans (comme Rien que du bleu ou presque, Denoël, 2000, remarqué par Annie Ernaux et Hugo Marsan, de fictions brèves et d’essais (Devenir écrivain, Leduc.s, 2018). Longtemps directeur pédagogique d’Aleph-Écriture qu’il a pris l’initiative de créer en 1985, il vit désormais à La Rochelle, où il écrit et conduit des ateliers d’écriture consacrés notamment aux auteurs contemporains. Son prochain stage résidentiel, intitulé « Écrire un récit choral », aura lieu du 14 au 18 avril 2025 à Royan ou à La Rochelle.