« Un chantier », Nicole Suzuki

Sur une proposition d’écriture de Sylvette Labat à partir du roman de Pierric Bailly « La Foudre » (P.O.L, 2023), ce texte figure parmi les huit sélectionnés.

Nicole Suzuki

Un chantier

Mes dernières années de lycée ont été un cauchemar. J’avais des mauvaises notes dans toutes les matières. Mon prof d’anglais avait même écrit : « Lorine n’est pas douée pour les langues. Elle ferait mieux de s’orienter vers des sujets plus concrets ».

Pendant les vacances, j’ai entendu parler d’un chantier de jeunes au Fort de l’Ecluse, dans le Jura. Ça, c’était du concret ! J’étais partante. Je me suis inscrite.

Le Fort, construit à flanc de montagne, était en piteux état. Murs écroulés, toiture arrachée, pierres éparpillées jusque dans le ravin. Nous étions une quinzaine de jeunes, venus de tous les horizons. J’étais plutôt du genre bricoleuse, mais là, j’ai été complètement bluffée. Le chef du chantier était génial. Il savait tout faire : le ciment, le mortier, l’alignement des pierres au cordeau, et même de l’escalade et du rappel.

Je me suis arrangée pour travailler à côté de lui. Voyant mon intérêt, il me guidait, m’expliquait les gestes du métier. Petit à petit, nous avons fait connaissance. Il était anglais, de Manchester, Non ? Pas possible ! Avec juste un petit accent, il parlait le français à la perfection. J’ai bossé comme une folle sur ce chantier passionnant. A la fin, on a fait une soirée d’adieu, et tout le monde est reparti. William m’a demandé : « Tu n’as pas envie de venir passer quelques jours en Angleterre ? Je t’invite à Manchester ». Mon cœur a fait un bond. Oui, bien sûr, j’étais d’accord !

Les années ont passé. Maintenant, je suis prof de biologie dans la section anglaise du collège international du Léman. Je vis avec William dans un village au pied du Fort de l’Écluse. Nous avons deux enfants, parfaitement bilingues, eux aussi.

R.Z.