Pour la deuxième année consécutive, Aleph-Écriture a organisé une après-midi d’échanges littéraires dans le cadre de ses « Journées des éditeurs » : huit romancières ont pitché tour à tour leur texte devant des personnalités de l’édition. Avec cette éternelle question : mon manuscrit vaut-il la peine d’être lu et publié ?
Être repéré par un éditeur, c’est le rêve de nombreux écrivains. Comment faire pour retenir l’attention des maisons d’édition submergées de propositions ? Pourquoi un texte est-il publié ou rejeté ? Vendredi 14 juin, notre journée des éditeurs s’est donnée pour objectif de répondre à ces questions lors d’une rencontre publique entre écrivains et éditeurs. Huit autrices ont présenté leur manuscrit devant des personnalités de l’édition invités à donner leurs retours sur le vif.
« Nous avons sélectionné les textes de huit participantes qui ont suivi un programme au long cours chez Aleph », explique Marianne Jaeglé, co-organisatrice de cette deuxième édition et dont le dernier livre L’Ami du prince vient de remporter le prix Orange du Livre 2024. « Le but est de faire des fiançailles entre auteurs et éditeurs, le mariage se fera peut-être ensuite », dit-elle avec enthousiasme.
Pour ce rendez-vous, cinq éditeurs étaient conviés autour de la table : Margaux Radepont (Globe), Marie Desmeure (Denoël), Sophie Bogaert (Fugue), Lola Nicolle (les Avrils), Thomas Garet (L’Iconoclaste).
Divers sujets pitchés
Chaque autrice a disposé d’une vingtaine de minutes pour se présenter et pour lire un extrait – non sans avoir le trac – face aux éditeurs attentifs. Une palette large de thèmes a été proposée : un texte qui interroge la folie en explorant la frontière entre le réel et l’imaginaire, une comédie sur fond culinaire, un texte sur l’euthanasie et le suicide assisté, un manuscrit sur la jumellité, un roman choral à dimension écologique, un thriller psychologique teinté d’humour noir dans une société en mal de repères, un texte sur le désir et la sauvagerie du réel, et enfin un roman initiatique qui conduit le lecteur en Grèce…
Tous ces projets ont été travaillés au cours du Cercle des contemporains animé par Aline Barbier et Solange de Fréminville et lors des ateliers Roman avec Christophe Duchatelet et Marianne Jaeglé, des cursus au long cours chez Aleph-Écriture.
« Le roman est une machine extraordinaire pour raconter l’état du monde dans une forme d’enchantement (poétique ou tragique) et ouvrir nos imaginaires par le travail de la langue : voici, me semble-t-il, les clefs d’une bonne histoire pour espérer toucher les lecteurs et saisir ainsi l’attention d’un éditeur. Et c’est ce que nous recherchons dans les ateliers d’écriture », explique l’auteur, animateur et co-organisateur de l’évènement, Christophe Duchatelet.
Dans la salle, plus de soixante personnes sont venues écouter les réactions à chaud des professionnels de l’édition, une occasion rare d’entrer au cœur du milieu éditorial et de comprendre ainsi pourquoi un éditeur a envie d’aller plus loin ou pas avec un texte.
Retenir l’attention d’un éditeur
« Le préalable est avant tout que la langue retienne mon attention », précise Marie Desmeures, directrice littéraire pour la fiction française des Éditions Denoël. « L’histoire m’intéresse dans un deuxième temps parce qu’en tant qu’éditrice, je peux apporter quelque chose à l’histoire, par exemple si la fin me paraît invraisemblable ou un personnage caricatural ; en revanche si le style – qui est la matière première – ne me convainc pas, il n’y a rien que je puisse faire pour y remédier ». Marie Desmeures se réjouit de cette journée des éditeurs : « C’est rare d’échanger avec des confrères et des consœurs. Cette journée vient nourrir ma pratique : on fait tous les mêmes constats objectifs sur les caractéristiques du texte, ensuite la question en tant qu’éditeur, c’est bien celle-ci : est-ce que ça me donne envie de travailler avec cette écriture ou pas ? »
Lola Nicolle, co-directrice de la collection de littérature Les Avrils est du même avis : « J’aime quand il y a une langue ». Les manuscrits qui suscitent son intérêt ? « Je m’arrête sur les textes qui disent quelque chose de notre société, tout en faisant regarder avec un pas de côté. Nous, en tant qu’éditeur, on n’a pas envie de s’ennuyer ! », s’exclame-t-elle. « Cette journée est un excellent exercice », retient Lola Nicolle, « produire un avis sur le vif est exigeant ».
Sophie Bogaert des éditions Fugue accorde son attention aux textes qui apportent quelque chose d’inédit, d’original dans l’approche. « Le sujet m’importe moins, c’est plutôt la façon de l’envisager qui m’intéresse », explique-t-elle.
Au fond, c’est quoi un bon livre ? Un livre qui surprend, renchérit Thomas Garet des éditions L’Iconoclaste. Mais pas seulement, c’est une sorte d’équation entre une exigence haute relative au texte et une capacité à toucher le plus grand nombre. « Dans notre maison, on cherche des sujets contemporains et des voix nouvelles pour apporter de la jeunesse, mais pas que. Et le texte doit donner envie de tourner les pages, même quand il s’agit de récit du réel ». Pour Thomas Garet aussi, cette journée est stimulante. « J’ai aimé voir les textes incarnés, et pouvoir discuter du texte, voir ce qui se confirme ou pas lors de l’échange autour du texte écrit ».
Voir les textes s’incarner, c’est ce que retient aussi Margaux Radepont des éditions Globe, une maison qui s’est lancée dans le genre de la non fiction narrative. « On recherche des sujets du réel avec une construction solide », explique-t-elle. La question à se poser est de savoir : Quelle est votre intention en tant qu’auteur ? Quelle direction prend votre texte ?
Vladimir Nabokov : « La littérature est un jeu qui se joue à deux et le plus difficile est de ne pas jouer à la place du lecteur »
Derniers conseils avant d’envoyer vos textes
Avant d’adresser vos textes dans la boîte aux manuscrits, posez-vous cette question : est-ce que mon texte est publiable ou pas ? Est-ce que j’ai trouvé la bonne distance ? Sophie Bogaert des éditions Fugue ajoute : « Je ne saurais trop conseiller aux auteurs de cibler, cibler et encore cibler autant que possible les maisons auxquelles ils s’adressent ! Cela fait une grande différence de sentir, en tout cas, qu’ils connaissent au moins un titre de notre production et de sentir en quelques mots les raisons pour lesquelles ils s’imaginent volontiers dans notre maison. »
Sans oublier d’accorder du temps à la lecture : beaucoup d’auteurs écrivent et ne lisent pas, regrettent les éditeurs. Et enfin, Marianne Jaeglé rappelle qu’il faut apprendre à jouer avec le lecteur et non pas jouer à sa place, selon les recommandations de Vladimir Nabokov.
Laëtitia Moreni