Cette semaine, Sylvie Néron-Bancel vous propose d’écrire à partir du livre de Nicolas Clément « Sauf les fleurs » (Buchet-Chastel, 2013). Vous pouvez envoyez vos textes jusqu’au 15 juin! Certains d’entre eux seront publiés 15 jours plus tard ! Contact: atelierouvert@inventoire.com.
Sylvie NÉRON-BANCEL
Extrait
« Je voulais une mère avec des épaules pour poser mes joues brûlantes. Je voulais un père avec une voix pour m’interdire de faire des grimaces à table. Je voulais un chien avec un passé de chat pour ne pas oublier qui j’étais. Je voulais un professeur pour me surprendre. Je voulais des livres pour construire une cabane à la cime des arbres.Je voulais être un homme pour sentir ce que ça fait d’être une histoire. Je n’ai pas eu tout ce que je voulais mais je suis là, avec mes zéros, ma vie soldée du jour qui vaut bien ma vie absente d’avant. Je tombe rond; mon compte est bon ».
Suggestion
Chaque paragraphe de ce premier roman de Nicolas Clément (Sauf les fleurs, Buchet-Chastel, 2013) est d’une force incroyable.Au début du roman, Marthe a douze ans. Elle vit à la ferme avec son frère Léonce et ses parents. Dès les premières pages, on comprend que la violence du père fauche l’enfance de cette jeune fille comme celle de son frère. Marthe va grandir la peur au ventre, grâce à l’amour des bêtes, celui qu’elle porte à son frère et à sa mère, qu’elle protège, et celui de la lecture, jusqu’à ce qu’un drame survienne. Pourtant elle va continuer de fleurir, grâce à l’amour de F., mais je ne vais pas tout vous dévoiler. Il faut lire absolument ce roman de 75 pages, découvrir ces mots ciselés, concis, simples, ces associations d’idées et d’images qui bousculent le lecteur sans cesse. La voix de Marthe, la narratrice, est bouleversante.
Le bref extrait que j’ai retenu se situe à la fin du roman, lorsque Marthe a vingt ans. Elle évoque ce qu’elle aurait aimé être ou ce qu’elle aurait aimé avoir et conclut qu’elle a fleuri comme ça, avec légèreté malgré tout.
Et vous que vouliez-vous ?
Et si vous écriviez à votre tour un inventaire de ces choses que vouliez ? Une série de « je voulais », induisant un « j’ai eu » ou un « je n’ai pas eu », une liste en somme, mais en vous appropriant ce « mais » qui vous ramènerait dans votre enclos. Jouez avec les associations d’idées, créez vos propres images et envoyez-nous votre texte, sans oublier qu’il ne doit pas excéder un feuillet standard (250 mots ou 1500 signes).
Lecture
Nicolas Clément est né à Bourgoin-Jallieu en 1970. Il vit à Paris où il enseigne la philosophie dans un lycée et en classes préparatoires.
L’écriture de ce premier roman lui est venue de la lecture de la trilogie d’Eschyle : L’Orestie – tout précisément d’une phrase d’Athéna à Oreste. Athéna est là pour juger Oreste, meurtrier de sa mère, qui elle-même avait tué le père d’Oreste, Agamemnon. Et elle prononce cette phrase : « Dis-moi quelle est ta race, ton nom et ton histoire ». La justice humaine, pour Eschyle, naît lorsqu’un individu devient capable de raconter sa propre histoire.
Marthe, l’héroïne de Nicolas Clément, va vivre selon une trajectoire presque semblable à celle d’Oreste. Et elle va croiser la justice humaine. Le lecteur peut croire à la résilience de l’héroïne. Marthe connaît l’amour, s’ouvre comme une fleur à Baltimore, se consacre à ce qu’elle aime (la traduction de textes d’Eschyle), mais la violence subie dans son enfance lui ressaute à la gorge, tel un destin, lorsqu’elle revient dans la ferme. Se pose alors la question de la vengeance, en d’autres termes que pour Oreste, puisque Marthe était enfant lorsqu’elle a subi la violence et que les mots lui ont été arrachés.
On comprend que c’est par l’écriture, par le pouvoir des mots dévidés, recréés, qu’elle pose dans ce carnet adressé à son frère, pour laisser une trace, que tout pourra commencer vraiment.
Sylvie Néron-Bancel (qui travaille pour Aleph à Lyon), sur le très joli texte de Nicolas Clément, Sauf les fleurs.