Bénédicte Brun, Pierrick Lemaire, Flora M

Sur une proposition d’écriture d’Arlette Mondon-Neycensas à partir du roman d’Eric Reinhardt « Sarah, Suzanne et l’écrivain » (Gallimard, 2023).  Textes de Bénédicte Brun « Lettre de réclamation d’un perroquet à tout-faire » , Flora M « Élégie d’une souris », Pierrick Lemaire « Cher Maurice ».
Bénédicte Brun

Lettre de réclamation d’un perroquet à tout-faire

Maître Flaubert,

Je viens de finir « Un cœur simple » et je prends la plume la plus affûtée que le Dieu de Félicité m’ait planté au croupion pour vous écrire. Je suis furieux !  Non content de m’avoir arraché aux tropiques pour me jeter dans une ville brouillardeuse, affublé du surnom ridicule de Loulou alors que je m’appelle Félix, abandonné à la mère Aubain, fourgué en déchet à Félicité, fait mourir dans une posture absurde, puis empaillé, moisi, vous m’avez, comble du comble, exposé en Saint Esprit ! Mais où aviez-vous la tête ? 

J’avoue, j’ai eu mes bons moments. Caché en moi, vous avez asticoté les braves gens avec une agressivité réjouissante, le rire a éclaté jaune soleil et j’en ai bien profité. A voleter dans la maison, je savais aussi les vérités cachées mais sans pouvoir les dire. J’étais braillant mais muselé. Imaginez la frustration ! Alors que j’aurais pu raconter, moi, que l’ancien amoureux de Félicité était revenu en ville après le décès de sa riche épouse.  J’aurais pu la rendre heureuse, Félicité. Évidemment je n’écris pas, moi, Môssieur, je ne décide de rien. Tout de même, c’est une obsession, chez vous, de composer des femmes malheureuses. Ne faites pas l’innocent, je me souviens d’Emma, j’étais là aussi, à soupirer sur le papier peint…  Comme vous j’aime les rêveuses.

À mesure que j’écris cette lettre, la réflexion me vient. Je me serais contenté d’un rôle simple et répétitif, compagnon voyageur, héros burlesque ou perroquet policier. J’ai été tout ça, au début. Puis comme je grossissais dans l’esprit de Félicité, je ne savais plus trop qui j’étais. Sur la fin, je bruitais la maisonnée pour elle, rassemblais tous ses amours passés, j’étais le monde, j’étais tout, je n’étais rien, j’étais pour elle. Vous m’aviez tout pris, vous m’avez trop donné, incrusté-enchristé dans le cœur de Félicité. Je vous en veux. Mais je crois comprendre.

Je reste éternellement, pour Félicité,

Votre Loulou 


Flora M

Élégie d’une souris

Bien Cher M. Vian,

Dans votre livre, vous avez fait de moi une souris. Petit être sympathique, au cou doux et gris. Vous m’avez doté de moustaches noires, de mains habiles au lieu de pattes gratteuses, curieux choix, mais passons cela.

Vous avez fait de moi la confidente et conseillère de l’un des principaux protagonistes, mon cher Colin, et le témoin de l’amour absolu qui l’emporte. Loin de moi l’idée de réclamer ici une autre place dans votre récit.

Si ce n’est à la fin.

Délicieusement innocente, sensible en totale empathie, je deviens vite trop clairvoyante sur l’avenir de mes amis. Quelle souffrance infliger à un personnage comme le mien ! Face à la maladie de Chloé j’écorche mes mains pour alerter d’une mort inéluctable, puis Colin se perd dans l’abysse du chagrin, et je choisis de me suicider.

Sachez Monsieur que j’ai toujours défendu l’altruisme comme élément des plus précieux dans l’équilibre du monde. L’amitié et la sororité sont des principes que je chéris, bien vous prit de me les attribuer.

Cependant, je regrette que vous n’en ayez donné une once au chat, face auquel je dois argumenter jusqu’à son intérêt à me briser la nuque. Indifférent aux tourments qui l’entourent, égoïste tant sa vie est douillette (manque de flair certain sur la fin proche de son bienfaiteur) il survit, lui. Et de se donner le beau rôle en me rendant service !

N’auriez-vous pu équilibrer un peu nos fonctions respectives ? Que ce chat, moins autocentré m’aide à changer de perspective ? Ou qu’il alerte lui, même sans grands frémissements, des malheurs à venir ? Et à moi l’ivresse de la naïveté qui n’empêche en rien de soutenir Chloé dans ses derniers soupirs.

Je ne déserte pas mais, vous auriez pu, Monsieur, me laisser le temps de vivre.

 

PS : Et si l’envie vous prend de quelques changements, merci de retirer l’haleine de chacal du patenté félin.


Pierrick Lemaire

Cher Maurice,

Élégant, séducteur, gentleman tels sont les qualificatifs dont vous me gratifiez ! Gentilhomme, je voyage en première classe et séjourne dans des endroits somptueux parmi la société la plus choisie. Grâce à cet apparat flamboyant, on en oublie presque mon état de cambrioleur. Votre dernier roman qui me trouve retraité grisonnant, m’habille à nouveau de ces attributs flatteurs et je m’interroge sur notre relation.

Pourquoi cet entêtement à me tourmenter par ces chagrins d’amour qui me mènent à plusieurs reprises au bord de la mort. Vous me faites croiser des créatures tantôt caressantes tantôt perfides, me causant mille tourments. Peut-être auriez-vous dû me laisser sauter du haut du rocher de Capri ou laisser une balle me transpercer quand vous m’avez poussé, suicidaire, vers la légion étrangère.

Fort heureusement, mon goût pour les déguisements et la farce efface rapidement cette déprime imposée lors de mes joutes amoureuses. Je retrouve alors cette gaité juvénile que vous avez bien voulu me conserver. Et je me délecte toujours autant de mes jeux avec l’inspecteur Gallimard et de mes affrontements avec le détective Herlock Sholmès.

Mais j’y pense, les épreuves que vous m’infligez sont peut-être une manifestation de votre jalousie à l’égard de ma célébrité encombrante, qui vous éclipse en tant que créateur et empêche l’auteur d’exister. Suis-je si envahissant que vous cherchez une libération en me tourmentant ? Mes multiples déguisements ne sont-ils pas des bandeaux qui me cachent à vos yeux ? Sauriez-vous encore me reconnaitre à présent sous mes accoutrements ou avez-vous de moi, comme vos lecteurs, une image déformée, une façon pour vous de me pousser à m’évader loin de vous.

Votre existence même peut vous sembler menacée mais mon sens de la justice m’impose de vous autoriser à prendre votre retraite dans votre belle maison normande.

Votre dévoué, Arsène Lupin

PS :  Est-ce bien moi, Arsène, qui signe cette lettre ou s’agit-il d’une mystification ?