Cette semaine, Valérie Mello vous propose d’écrire à partir de Sugar Street, de Jonathan Dee (Traduction de l’anglais – Etats-Unis – par Elisabeth Peellaert (Les Escales, 2022). Nous vous proposons d’écrire l’histoire que raconte un personnage sur lui-même. Ce narrateur cherche à cacher quelque chose… il invente une vérité sur qui il est vraiment, sur ce qu’il a fait, son identité…
Vous pouvez poster vos textes (1500 signes maximum) sur Teams Inventoire jusqu’au 21 juin 2023 (en fichier PDF, interligne 1,5, caractère 12).
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Le livre
Sugar Street est un roman qui jette un éclairage cru sur l’Amérique actuelle, via l’histoire d’un homme qui décide d’effacer sa vie et son identité. L’écrivain y campe un personnage qui cristallise les tensions et frayeurs de ce pays dont il constate les dérives.
Le sujet : la disparition volontaire d’un homme qui rompt les amarres avec tout ce qui jusqu’alors faisait sa vie, pour prendre un nouveau départ. Cherchant à échapper à toute surveillance, il se déleste de tout ce qui est susceptible de le tracer.
Il prend la route avec la somme 168 548 dollars en espèces sur laquelle il compte vivre jusqu’à sa mort. Assez sombre à première vue, le sujet du roman est l’occasion pour Jonathan Dee de poser un regard désenchanté mais lucide et non dénué d’humour sur le monde actuel. Le lecteur est pris par ce personnage pour le moins mystérieux et énigmatique.
L’auteur
Jonathan Dee enseigne la littérature et l’écriture créative à l’université Columbia à New York. Sugar Street est son cinquième roman traduit après Les Privilèges, 2011, La Fabrique des illusions, 2012 Mille excuses 2013 chez Plon, et Ceux d’ici, Les Escales, 2018.
Extrait
Chapitre deux
Un petit épisode récent que mon cerveau tourne en boucle de façon incontrôlée : je suis hanté par la réponse stupide que j’ai donnée à Autumn quand elle m’a demandé quelle était mon « histoire ». « Je cherche un nouveau départ. » Bon Dieu ! Le genre de formule typique des gens suspects. Il faut que je prépare un récit plausible sans approcher trop près d’une vérité compromettante.
Mon histoire ? J’avais un enfant – une fille – et l’enfant est mort. Une longue maladie. J’aimerais pouvoir dire qu’elle n’a pas souffert. Sa souffrance est un sujet que je ne veux pas aborder. Sa mère et moi étions déjà divorcés quand elle est tombée malade, et c’est l’une des choses que je ne me pardonnerai jamais. Nous nous sommes remis ensemble pour elle, mais je comprends pourquoi ma femme ne supporte plus de me voir ni d’entendre le son de ma voix. Moi aussi, je ne supporte plus de voir les gens que je connaissais, les endroits qui ont été le décor de mon ancienne vie.
Ou peut-être : mon histoire, c’est que je suis inquiet pour l’avenir de cette planète – pas de l’espèce humaine en soi, l’espèce humaine, pour ce qui me concerne, peut et devrait probablement aller se faire foutre jusqu’à extinction, mais de cette planète. J’ai travaillé un certain temps dans le monde du non-lucratif, armé de mon chouette diplôme d’avocat, et j’ai appris une chose que j’aurais dû savoir depuis le début : vouloir réformer des gouvernements meurtriers en enjoignant lesdits gouvernements à se réformer eux-mêmes est pire qu’inutile. Alors je me suis écarté de la loi. Je me suis écarté de la loi et je m’y tiens, et il y a des gens puissants qui me colleraient une étiquette de terroriste sur le dos parce que coller à quelqu’un une étiquette de terroriste vous autorise à faire ce que vous voulez pour le faire disparaitre. Au lieu de quoi, j’ai choisi, moi, de me faire disparaître. Pour l’instant.
Proposition d’écriture
Jonathan Dee nous convie dans les pensées d’un personnage-narrateur en pleine élaboration de scénarios sur sa vie. Il se cherche une « histoire » qui pourrait servir de réponse plausible à tous les inquisiteurs qu’il croise et qui tentent de percer son anonymat.
Je vous propose de vous emparer de ces extraits pour imaginer et écrire la « true fake story », histoire vraie-fausse, histoire trouble, ou histoire peu fiable que se fabrique un personnage de votre choix.
Qu’il cherche d’une manière ou d’une autre à se cacher, qu’il veuille se justifier, ou se mettre en avant… bref, quelle que soit sa situation : il livre son histoire.
L’enjeu est que cette histoire que livre votre personnage puisse servir d’amorce à un récit (que vous n’écrirez pas ici…) Elle doit donc intriguer. Car on a bien envie d’y croire, mais on aurait aussi envie d’en savoir davantage …
Afin d’attiser la curiosité du lecteur, il vous faut créer une attente. Vous pouvez par exemple installer quelques zones d’ombre à coups de pinceaux légers (un seul peut suffire) pour laisser planer une incertitude, grossir un fait pour créer un soupçon d’invraisemblance, ou encore introduire un indice qui sème le doute…
L’histoire sera écrite au JE
Vous entrez dans la conscience de votre personnage mais, à la différence du narrateur de Sugar Street, le vôtre ne partage pas l’élaboration de son scénario, sa mise au point mentale : l’histoire qu’il livre est déjà ficelée. Sans être forcément douloureuse ou terrible, elle intrigue le lecteur qui attend la suite…
La formule « Mon histoire ? » (amorce du paragraphe 2) peut vous aider, mais vous n’êtes pas contraint.e de l’adopter.
Sugar Street, de Jonathan Dee, Traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Elisabeth Peellaert (Les Escales, 2022).
V.M.
Après de longs séjours dans plusieurs coins du monde, Valérie Mello a enseigné vingt ans les lettres et le théâtre, et accompagné des lycéens dans leur parcours scolaire et créatif.
Les ateliers se situent au carrefour de ses passions : écrire pour faire écrire, transmettre et accompagner.
Ses prochains stages : Expérimenter l’atelier d’écriture, le 1er juillet 2023, à Paris.
Modèle 2 : S’approprier les techniques de base du récit, du 21 au 24 août 2023 à Paris.
Crédits photos (image de couverture : Danièle Pétrès)