Le salon l’Autre Livre, « off » du Festival du livre de Paris, se tiendra ce week-end au Palais de la Femme, 92 rue de Charonne, dans le 11ème arrondissement. Tous les genres y sont représentés : roman, nouvelles, poésie, littérature jeunesse. L’occasion d’y rencontrer tous les éditeurs indépendants.
Rencontré à l’occasion de l’édition d’automne, Philippe Schweyer, fondateur de Médiapop, publie par passion, pour le plaisir des rencontres avec des écrivains dont il aime l’écriture. Les nouvelles parutions de Médiapop, dont le livre de Nicolas Comment : « Chroniques du temps qui passe. Exercices d’admiration » sont à découvrir ce week-end à L’Autre Livre. Nous republions l’entretien que l’éditeur nous a accordé (image de couverture : Médiapop éditions).
L’Inventoire : Comment vous est venue l’idée de créer cette maison d’édition ?
Philippe Schweyer : Quand j’ai créé Médiapop en 2008, c’était d’abord pour éditer un magazine qui s’appelle NOVO[1], c’était ça le projet. Je ne pensais pas du tout me lancer dans l’édition de livres. Mais en 2009, j’ai rencontré le photographe Bernard Plossu, et lui ai proposé de faire un livre avec lui.
J’avais en tête de créer une collection autour de la musique et il avait écrit des articles pour Rock and Folk sur ses années hippies dans les années 70. J’ai racheté les numéros sur Internet, tapé les articles et Far out est sorti en 2009. Ce livre m’a donné un peu confiance. Il y a tout de suite eu une page dans Libération et à partir de là, un livre en a entraîné un autre sans que ce soit prémédité. Tout à coup, au bout de quelques années, je suis devenu « éditeur de livres ». Je n’ai pas rêvé quand j’étais gamin de le devenir, c’est plutôt la presse, les magazines qui m’excitaient.
Pourquoi le magazine NOVO ?
Avant de faire Novo je travaillais à Strasbourg pour un autre magazine qui s’est appelé au départ Polystyrène, puis Poly. Je n’étais plus d’accord avec la personne qui le dirigeait et on est plusieurs à être partis. On a voulu refaire quelque chose. L’idée n’était pas de créer un magazine spécialement sur la musique, mais un magazine tel qu’on en avait envie, et on a créé NOVO. Le magazine existe encore, 15 ans plus tard.
Comment déterminez-vous les textes que vous allez publier ? Le premier que j’ai découvert et ai beaucoup aimé est Ode au corps tant de fois caressé de Christophe Fourvel. Vous le re-publiez en édition collector, imprimé sur papier rose pour la « Saint-Valentin ».
C’est un auteur que j’aime beaucoup (ce n’est pas le premier livre que je publie de lui, j’en avais publié deux avant celui-là). Je l’ai rencontré complètement par hasard. Il habite à Besançon, et un jour où je me déplaçais pour le magazine pour interviewer le chanteur Christophe Miossec à Strasbourg, celui-ci m’avait parlé de l’écrivain Henri Calet.
Un des couplets de ses chansons disait « Ne me secouez pas car je suis plein de larmes ». Quand je lui ai dit : « J’adore ces paroles » il m’a répondu « ça, c’est pas de moi ». Le lendemain en allant à Besançon dans un tout petit bar-restaurant avec un ami à qui je raconte l’histoire, quelqu’un derrière moi – écoutant la conversation – m’a cité la suite de « ne me secouez pas ». J’ai trouvé ça marrant de tomber sur un spécialiste de Calet à Besançon. Je vais ensuite dans une librairie proche, et dit au libraire « c’est drôle j’étais dans un bar et il y a quelqu’un qui m’a écouté citer Henri Calet et a continué la phrase » et là, le libraire me dit « c’est Christophe Fourvel. C’est un écrivain, il est parti sur les traces d’Henri Calet à Montevideo et vient de publier un livre ». J’ai acheté ce livre et ai ensuite contacté Christophe Fourvel; on est devenu très vite amis. Il a écrit dans le magazine que je publie, et de fil en aiguille on a fait des livres ensemble. C’est toute une histoire de rencontres.
Si on fait des livres, c’est bien que le texte tienne la route, mais c’est bien aussi que la couverture donne envie.
Je suis particulièrement frappée par le soin que vous apportez aux couvertures des livres que vous publiez, elles sont très modernes, fraiches. Quelque chose dédramatise le livre, une image qui permet par l’émotion de la couverture de découvrir l’univers qu’il contient. C’était une exigence dès le départ ?
Oui, j’en avais envie déjà pour le magazine. Quand je vais en librairie, je n’arrive pas à acheter des livres si je les trouve moches. Je travaille avec des graphistes, et essaye de faire en sorte que les livres soient les plus beaux possibles. Après, ils ne sont pas tous super réussis, c’est une question de goût et de couleurs. Certaines personnes ne les aiment pas du tout, mais en tout cas moi, j’ai une sorte d’exigence. Si on fait des livres, c’est bien que le texte tienne la route, mais c’est bien aussi que la couverture donne envie.
Vous les tirez à combien d’exemplaires, y a-t-il un format ?
En fait il n’y a pas de règle dans l’absolu. Le minimum c’est 500 exemplaires, après ça peut aller jusqu’à 3000 mais rarement plus.
C’est en fonction des sujets aussi ? Vous ne publiez pas que de la fiction, vous publiez d’autres formats comme « 32 grammes de pensée » ?
Finalement, ce que j’aime lire c’est de la fiction, mais je publie beaucoup de livres qui n’ont rien à voir avec la fiction. Il y a des témoignages, des essais, des récits de voyages, des récits écrits sur les prisons…
Beaucoup sont réalisés avec des photographes, et concernant les tirages je me trompe régulièrement. Parfois j’en fais trop, parfois pas assez, c’est impossible de calculer exactement le bon tirage d’un livre. Par exemple j’ai retiré trois fois Îles grecques, mon amour parce qu’il s’est bien vendu. J’aurais pu faire un gros tirage tout de suite, ça m’aurait coûté moins cher finalement. Mais parfois, il y a des livres dont je suis vraiment convaincu qu’ils vont cartonner, et puis je n’en vends pas des masses…
François Truffaut en 24 images/seconde de Anne Terral est paru en novembre. Qu’est-ce qui vous a poussé à le publier ?
Il y a des livres où je mets 6 mois-1 an à lire le manuscrit, et parfois même plus longtemps. Des fois où je tergiverse un peu, où il y a des échanges avec l’auteur. Mais pour ce livre-là, j’aime Truffaut (ça me rappelle ce que j’aimais dans ma jeunesse), alors quand j’ai vu Truffaut, je me suis tout de suite dit « il faut que je le lise » et ça m’a plu immédiatement. Donc j’ai réagi au quart de tour et dit que je voulais le publier.
C’est assez rare finalement
Il est rare qu’on lise tout de suite et qu’on réponde. Maintenant avec Internet, les gens se contentent parfois d’envoyer un mail avec un PDF. J’en reçois deux ou trois par jour. A un moment donné, je n’ai pas le temps de répondre à tous ces envois. Avant il fallait faire un courrier, ça coûtait cher, il fallait imprimer, donc ça limitait un peu… Je réponds aux gens qui me relancent. Quand ils me relancent 2 ou 3 fois, je me dis qu’il faut que je leur réponde…
Vous êtes seul dans cette maison d’édition ?
Je suis tout seul, mais je travaille avec des gens qui sont en free-lance, des graphistes, un distributeur, un diffuseur (Les Belles Lettres), et les librairies; j’en vends aussi via mon site (là c’est moi qui m’en occupe).
Vous vous fixez un nombre de livres à publier chaque année ?
Non, j’essaie de limiter. Je me dis « cette année je vais en faire moins », et finalement j’en fais autant ou plus. Mais je ne me fixe pas d’objectifs, j’ai plutôt le pied sur le frein parce que j’en ai publié beaucoup déjà. C’est trop de boulot, c’est trop d’argent perdu, trop épuisant; du coup je ne peux pas bien m’en occuper s’il y en a trop. Donc l’idée ce serait de publier des livres en quantité plus raisonnable. Il y a plein de paramètres, ce n’est pas forcément le nombre de livres… Un gros livre me prend beaucoup plus d’énergie qu’un petit. Si je fais 10 gros livres ce n’est pas la même chose que si je fais 10 petits livres.
Cette année vous allez en publier combien ?
Une vingtaine. C’est trop ! Je me suis engagé dans plein de choses, et en même temps on me propose plein de choses sympa aussi… Je vais essayer de réduire vraiment l’année prochaine, j’aimerais bien en faire 10 à 12 par an, ce serait plus raisonnable !
Dans l’idéal, combien de livres par an faudrait-il publier pour que ce modèle économique soit rentable ?
L’idéal serait que ce soit très rentable. Si on veut survivre, l’idéal est d’avoir de temps en temps un livre qui marche vraiment bien, un best-seller. Pour l’instant, je n’ai pas encore connu l’énorme succès d’un livre qui permettrait d’être serein, financièrement. Je suis toujours un peu sur la corde raide. Quand on vend 500 à 1000 exemplaires d’un livre, on arrive à payer l’imprimeur mais ce n’est pas rentable.
Vous avez publié pour Noël un livre sur « L’aventure du ski dans le massif des Vosges », de Grégoire Gauchet et Claude Kauffmann, la couverture est comme toujours magnifique.
Ce sont des livres qui s’écartent un peu de la ligne Médiapop, mais sont un peu plus faciles à vendre régionalement, des livres un peu « cadeaux de Noël ». Quand je participe à des salons, comme Colmar, beaucoup de gens vont s’intéresser à ce type de livre. Je réalise le magazine NOVO, je fais travailler des graphistes, mais c’est vrai que quand j’ai commencé, si je n’avais pas eu d’autre activité j’aurais arrêté tout de suite. Potentiellement il faudrait vendre 20 000 exemplaires d’un livre, ce qui est dur c’est de franchir ce palier.
Quelques titres du catalogue Médiapop Editions
François Truffaut en 24 images/seconde, Anne Terral
«J’ai eu envie d’écrire chacun de ces fragments de vie comme des unités qui pouvaient se suffire à elles-mêmes (choisis dans l’existence totalement romanesque de Truffaut, dialogues imaginaires, scènes dans les coulisses, gros plans sur certains films…). 24 séquences, 24 ambiances, 24 images… Et avec l’enchaînement logique de la chronologie, s’est dessinée une façon un peu singulière, entre fiction et réalité, de raconter Truffaut en fondu enchainé ».
Anne Terral sera présente à L’autre Salon sur le stand Médiapop samedi 22 avril pour son livre « 24 images/seconde » de 13h à 16h.
Ode au corps tant de fois caressé, Christophe Fourvel (Nouvelle édition collector imprimée sur papier rose pour la « Saint-Valentin »)
« Un homme regarde sa femme qui se douche. Il se confesse, entame un monologue, une ode à celle qui partage sa vie » (La Cause littéraire).
Extrait : « Tu as 59 ans. Exactement comme moi. Nous les avons fêtés la semaine dernière, plutôt sobrement. Tu es nue, je te regarde, les mains dans les poches de ce pantalon en tweed bleu que j’aime porter à la maison lorsque j’ai une quantité déraisonnable de dossiers à traiter ou bien lorsque je dois découper un lapin que j’ai mis la veille à macérer, ou n’importe quoi d’autre qui me paraît compliqué ou insurmontable parce que l’intérieur de ses poches révolver me rassure ».
L’écriture de Christophe Fourvel, sensible, précise et parfois mélancolique s’efforce de toucher la vie au plus près. En 2014, il obtient le prix Marcel Aymé pour son roman Le Mal que l’on se fait.
32 grammes de pensée, essai sur l’imagination graphique, Nicole Marchand-Zañartu et Jean Lauxerois
Pourquoi l’esprit a-t-il besoin de griffonner, d’esquisser des schémas, mêlant souvent lettres, lignes et couleurs ? Et si la pensée, dans sa naissance comme dans sa construction, était d’emblée image, et imagination graphique ?
Ces tracés inventifs, ces ébauches plus ou moins élaborées mais toujours mystérieuses, qu’ils soient de la main du poète, du mathématicien, du philosophe, du musicien, de l’architecte, ou de tout un chacun, nous les nommons des « grammes ».
La mélancolie du danseur de slow, Philippe Schweyer
Ce livre renferme de courts textes, entre nouvelle et chronique, que Philippe Schweyer a écrits pour les magazines Novo et Zut de 2009 à 2020. Sur la 4ème de couverture il est indiqué « Ces petites nouvelles sorties de l’imagination délirante d’un faux éditorialiste du monde d’avant, n’auraient sans doute jamais été publiées dans un livre sans le confinement. Les lecteurs, pendant la longue période de fermeture des lieux culturels, pourront se consoler en relisant les petites aventures existentielles d’un mythomane attachant, avatar bas de gamme revendiqué de Marcello Mastroianni ».
Philippe Schweyer ne cède jamais à la facilité de l’ironie ni à la méchanceté dans ces fictions, et pourtant elles sont drôles. Entre Fitzgerald et Fante, un mélange d’élégance et de légèreté où l’auteur préfère l’autodérision à la satire sur fond de musique pop. Avec humour, les histoires de Philippe Schweyer font resurgir des émotions aussi familières que la rencontre d’une connaissance perdue de vue au supermarché du coin.