Ce texte a été écrit sur une proposition d’écriture de Béatrice Limon à partir de « La ligne de nage » de Julie Otsuka. Il figure parmi les dix textes sélectionnés.
Marie-Anne Lucas
Rue de la Fontaine
Elle me salue toujours par un « bonjour ma chérie » et ne manque jamais le « sois prudente sur la route » quand je remonte le kilomètre trois cents qui me sépare de chez elle.
Elle ne se défait de sa blouse bleue que le dimanche, pour une robe à fleurs aux couleurs discrètes et son boléro de laine.
Elle a été couturière, son dé glisse sur les étoffes. C’est elle qui a tricoté le pyjama de mon ourson de petite fille.
Elle n’a pas pleuré quand le cercueil de mon papy a rejoint celui de sa mère ; elle ne peut pas, ses yeux restent secs, les larmes coulent en dedans.
Elle a un faible pour les tablettes de chocolat Poulain. De la boulangerie elle ressort souvent avec des éclairs au café.
Quand je lui raconte ma vie, mes voyages, mes envies, je vois bien qu’elle ne comprend pas tout, mais ça lui fait plaisir, et de la compagnie.
Quand on lui demande ce qu’elle veut comme apéritif elle répond toujours « de l’eau ». Jeune femme elle a fait un séjour à l’hôpital. Delirium tremens. Elle ne me l’a jamais dit.
Son monde est tranquille, restreint. Une fille à côté, une fille un peu loin, une petite fille en vadrouille et quelques nièces par-ci par-là. Elle a fait des vacances en estafette, dans le temps, elle est même allée à Jersey, une fois.
Elle cuisine des choses simples sur sa vieille gazinière. Le dimanche c’est rôti de veau et légumes du jardin.
Elle est partie sans crier gare. Sur ma dernière carte postale d’anniversaire son écriture tremblotante a signé « ta mamy Jeannine qui t’aime ».
M.L