Aujourd’hui le texte de Paule Lecamus, en réponse à l’appel à écriture à propos de « 14 ».
Histoire
La maison est restée : en briques rouges, barrière ouverte. Toutes les maisons de la rue sont ainsi, une rue familiale. Ici, on vit proches les uns des autres. On entre et on sort : fille petit-fils, fils, cousins, cousines, grands-pères, grand-mères… On ne sait plus qui est qui. On partage les mêmes murs, les mêmes lits.
La salle à manger est réservée aux adultes. On y mange des pommes de terre cuites dans la cendre dont la peau, aussi noire que la suie, est plus goûteuse qu’un repas de chef. Une cheminée, ça nourrit son monde.
Les aînés s’occupent des petits : bains, repas, réprimandes et câlins. Les parents n’ont pas le temps, cernés par la misère qui rode et qu’il faut repousser coûte que coûte. On se couche tôt, on se lève tôt.
Il fait encore nuit quand on quitte un lit de fortune. On ne s’occupe pas de l’heure. On s’habille et on n’oublie pas les lampes. Dans l’après-midi, on rentrera aussi noirs que la pomme de terre fondante. On ira se laver. On ne connaît que la lessiveuse.
La mère s’occupe du père. On les voit peu. On les respecte. On sent qu’on ne doit rien demander.
Dehors, il pleut. Des gouttes de poussière qui dévalent des terrils. La boue est grise, malléable. On la malaxe, on se roule dedans. On rit.
Les hommes ne reviennent que le soir, les yeux brillants. On parle haut et fort. On ouvre des bouteilles pour montrer sa colère.
Enfin, on se tait, la tête enfouie dans les bras. Le père se lève, secoue ses fils. Demain, il y a la mine.
Paule LECAMUS