Régine Zeidan « Allez » et Charlotte Castéra « À l’aube »

Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de « À l’est des rêves » de Nastassja Martin. Parmi les 7 textes sélectionnés voici celui de Charlotte Castéra et de Régine Zeidan.
Charlotte Castéra

À l’aube

J’avais pris mon service à 22 heures. J’étais chargée de brouiller les neurones d’une jeune fille de 12 ans. Elle allait entrer dans le dôme d’ici peu et il fallait que tout soit parfait.

Quand je suis arrivée, elle dormait déjà, l’équipe précédente s’était chargée de son sommeil. Je la trouvai allongée sur le lit. D’après les relevés de son encéphalogramme, elle allait entrer en sommeil paradoxal vers 23h, il me suffirait de repérer les mouvements de ses paupières pour commencer mon intervention. C’était pas ma première patiente et je devenais de plus en plus habile dans la mise en œuvre du protocole.

Alors que j’introduisais le virus dans ses neurones, je me dis qu’elle rêvait.

A l’aube, je la questionne, elle me répond qu’elle a super bien dormi. Je lui demande de me raconter son rêve, c’est dans le protocole pour vérifier que tout est en place. Elle me dit qu’elle était dans le métavers, en train d’acheter une robe qu’une influenceuse à gros seins lui avait soufflé, en utilisant le code promo GROSSBOMBASS. Elle était super contente de sa robe et allait pouvoir la poster sur les réseaux pour que ses copines l’admirent. Elle avait le sourire en me racontant son rêve mais soudain, son regard changea, il y avait autre chose. Elle essaya de se rappeler. C’était flou mais avec un peu d’effort, elle arriva à me décrire la scène qui l’avait troublée. Elle avait senti un souffle d’air sur son corps et vu un paysage de montagne avec une forêt de sapins. Elle s’était baissée pour toucher le sol et ramasser une pierre. STOP.

Je l’ai débranchée. C’était trop risqué. Elle pouvait compromettre l’équilibre entier de notre société. Les rêves de nature, de famille, d’amour étaient formellement interdits. La cheffe avait été très claire à ce sujet. A la moindre anomalie, on coupe. Il fallait supprimer tout espoir de vie extra métavers.

 Régine Zeidan

Allez !      

Sans toucher la peau, ma main frôle ce corps apaisé, immobile et je pense que c’est là l’éphémère moment où cet homme que j’ai rencontré il y a si longtemps m’appartient tout à fait.

Par la fenêtre, je n’ai pas tiré hier soir le rideau de nuit car j’aime entendre le jour qui se lève lorsque je suis de passage ici, j’aperçois une étoile en même temps qu’un long soupir perce le silence…

Le sien ou celui de son chien tout pareil endormi ?

C’est bien celui de l’homme dont la bouche sourit soudain. Il dort sur son côté gauche, la tête appuyée sur son bras tendu touchant le mur et je vois l’ombre de ses cils posée sur sa peau éclairée de lune. La veine de son cou bat doucement sous la caresse de mes doigts et je crois bien entendre le son de sa vie.

Il sourit encore et je me dis qu’il rêve.

A l’aube je le questionne, il me répond les paupières encore serrées comme s’il craignait que la magie s’envole…

– Cette nuit je montais les murs de ma maison. Le bruit de la mer que je devinais proche accompagnait mes efforts… Un muret de pierre ceinturait un pré d’herbe rase que j’imaginai devenir jardin de roses. Je grimpai dessus et oui, je voyais la mer, là, juste plus loin, à portée de mon regard, grise et furieuse dans ses rouleaux…

– Savoir la mer tout près de toi, même pas la peine de la voir…

– C’est si important pour moi ! Je te l’ai raconté cent fois.

– Alors bouge, lève-toi, remue ciel et terre, cherche et trouve l’endroit où il fera pour toi plus beau vivre !

Copyright photographie : Danièle Pétrès 

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