Il y a 15 jours, nous vous avons proposé d’écrire à partir des photos de Vivian Maier évoquées dans le livre « Une femme en contre-jour » de Gaëlle Josse, sur la thématique que voit-on vu de dos ? Voici les textes d’Anne Hiomto et de Marie Bressy, à partir de la photo de la femme en blanc dans la nuit.
Marie Bressy
A ton pas
A ton pas s’accroche le temps.
Tu trembles.
Légèreté de la zibeline à ton cou.
Éphémère apparition.
Déjà̀ la corolle de ta jupe. Où vas-tu ?
Ses mains sur tes épaules.
Tu trembles.
Les notes suspendues. L’opalescente blancheur de ta robe. Mise à nue.
Tes talons claquent sur le goudron noirci.
Ne te soumets pas. Prends garde au désir.
Domine le.
Que me chuchotes-tu ? A mon oreille, tes lèvres rougies. Tes boucles mousseuses. La nuit t’enveloppe. Au loin, une voiture.
Est-il là à t’attendre ? Vas-tu le retrouver ?
Dis moi. Tu frémis.
Je me suis égarée. Tu ne pars pas. Tu rentres, seule. Tout est fini.
A tes yeux barbouillés, le Rimmel a coulé. Ta bouche s’est effacée.
Ta robe te contraint. Tu étouffes. Tes pieds ont gonflé.
Tu titubes. L’aiguille de tes talons te blesse.
Au loin, les lumières nébuleuses.
Anne Hiomto
Après la fête
La fête était belle, l’esprit embué, je me rappelle,
mon rouge carmin sur les lèvres, ma robe blanche,
les musiciens et les flatteurs.
Mes talons claquent sur le bitume.
Pieds douloureux d’avoir dansé.
Que regarde t-il cet homme là-bas ?
Je le chasse d’un geste de la main, telle une mouche.
Je vois flou, je marche flou.
Trop d’alcool ce soir.
Que regarde t-il ?
Mon corps qui balance dans la nuit, dos étroit et cou de faon.
Mes lèvres larguent des volutes de fumée,
froid ou cigarettes, je ne sais plus.
Que regarde t-il ?
Je passe sous un lampadaire, éclairée comme un produit de réclame.
Mangez-la, mangez-la, murmure la ville.
Que regarde t-il ?
Friandise à la gorge sèche d’avoir trop bu, les yeux agrandis de fatigue.
L’hermine autour des épaules me tient trop chaud,
L’automobile proche semble si loin.
Que regarde t-il ?
La parure, la berline, la femme ou les trois.
Accélère sur mes pieds endoloris, ouvre la portière de mon esquif. Regarde t-il ?
Et son corps soudain glissé à ma hauteur.
J’entends son pas, je sens son souffle, je vois ses mains.
Et la voix qui s’élève
– Madame, votre sac laissé au vestiaire. Et le portier disparaît, absorbé
dans la lumière et le bruit de la fête.