À l’occasion du partenariat avec le Théâtre des Déchargeurs (atelier d’écriture le 11 décembre), nous avons demandé à Laurence Faure de réaliser une interview de Sylvie Barré, qui a travaillé au sein de diverses institutions théâtrales (dont le Théâtre Ouvert, où elle a été notamment lectrice). Une occasion de mieux comprendre ce qu’est un texte écrit pour le théâtre.
Lisez-vous des pièces ? Une interview de Sylvie Barré par Laurence Faure
Un texte pour le théâtre, c’est un document de travail tout d’abord, à partir duquel s’élabore une création. S’écrit-il à partir du désir d’un, d’une habituée ou non du théâtre, qui cherchera à le monter ou le faire monter ? Est-il le fruit d’une commande, formulée par une structure, une personne ? Est-il le résultat d’allers et retours entre improvisations, lectures sur le plateau et notes ? Bref ! L’écriture de théâtre peut être solitaire ou collective, singulière ou plurielle…
Écrire un texte pour le théâtre, pour la scène, c’est désirer qu’il soit lu, joué, publié. Mais comment faire ? Il existe dans de nombreuses structures, dont les Centres Dramatiques Nationaux, des comités de lecture qui reçoivent, sélectionnent des manuscrits puis mettent en place des lectures publiques où spectateurs et professionnels (comédiens, metteurs en scène…) découvriront des textes à monter. J’ai rencontré Sylvie Barré, professionnelle du spectacle, qui a une grande expérience des comités de lecture. En interview, elle nous fait ici partager, de l’intérieur, ce qui fut sa riche expérience dans la lecture des textes écrits pour le théâtre.
Laurence Faure : Sylvie bonjour, nous nous sommes rencontrées cet été et t’entendant parler du théâtre, j’ai eu envie de t’interviewer sur ton parcours professionnel très en lien avec l’écriture théâtrale contemporaine. Tu as été tout d’abord bibliothécaire puis as travaillé pour des structures au service du théâtre contemporain. Responsable jeune public à la Ferme du Buisson, en 1985, secrétaire générale pour le Théâtre de Sartrouville, de 1990 à 1993. Tu connais de l’intérieur le Théâtre Ouvert, structure novatrice créée au début des années 70 à l’initiative de deux personnes extrêmement connues des professionnels, Micheline et Lucien Attoun. pour y avoir fait partie du comité de lecture. Puis tu as poursuivi ton parcours en travaillant à l’Espace Acteurs, et à Théâtrales qui deviendra ANETH, Aux Nouvelles Ecritures Théâtrales.
Aujourd’hui le théâtre habite toujours ta vie puisque tu es présidente d’une association compagnie de théâtre, Aberatio, qui présente des créations et a mis en place une école à visée professionnelle, en plus d’ateliers pour amateurs éclairés.
Laurence Faure : Depuis quand, dans ton parcours professionnel, tu t’intéresses spécifiquement au travail des auteurs ?
Sylvie Barré– Depuis mon poste à Théâtre Ouvert. Il faut se rendre compte qu’à partir des années 70, Micheline et Lucien Attoun (deux personnes extrêmement connues des professionnels), se sont montrés de véritables découvreurs de la création contemporaine. Et par exemple je pense à des auteurs comme Jean Marie Koltès, Jean Luc Lagarce – et bien d’autres ! – dont ils ont été parmi les premiers lecteurs.
Laurence Faure : Tu faisais partie du comité de lecture au Théâtre Ouvert. Tu peux nous parler de cette expérience ?
Sylvie Barré : Au comité de lecture, nous étions 3 personnes : un dramaturge qui recevait les manuscrits et « triait » ceux qui passeraient effectivement à une lecture par le comité, Micheline Attoun et moi. Et c’est par cette expérience, véritablement, que j’ai compris ce qu’on peut appeler un texte de théâtre.
Laurence Faure : C’est-à-dire ?
Sylvie Barré : Un texte de théâtre, quand je le lis, je dois pouvoir l’entendre intérieurement, comme s’il était dit. Il est porteur d’une dimension « d’oralité ». Et c’est très différent du scénario, ou du simple dialogue. Et puis, c’est porteur d’une construction.
Un texte de théâtre, quand je le lis, je dois pouvoir l’entendre intérieurement, comme s’il était dit.
Laurence Faure : Une construction, c’est-à-dire une fable ? Une histoire que raconte la pièce ?
Sylvie Barré : Pas obligatoirement, mais une construction dans le sens d’un mouvement qui se déploie, culmine et demande une résolution. Et là j’ai repéré que beaucoup d’auteurs savent démarrer mais pas finir, aller vers la fin. Leur texte démarre un mouvement mais après ça s’essouffle.
Laurence Faure : Et la lecture te permet de repérer cela ?
Sylvie Barré : Oui, et l’important, c’est que l’auteur, pour son texte, puisse le ressentir. Et par exemple, dans le cadre d’une association pour laquelle j’ai également travaillé (à titre bénévole), à Mots découverts, nous sélectionnions des textes puis nous organisions des lectures, avec comédiens et metteurs en scène, ce qui permettait à l’auteur d’entendre son texte pour la première fois. D’entendre son texte, et de pouvoir en percevoir les faiblesses, pour le retravailler. Ensuite, après ré-écriture, si l’auteur le souhaitait, il était même possible de faire une seconde lecture. Dans le cadre de Théâtrales, des lectures étaient également organisées, pas en direction de l’auteur mais pour le public.
Laurence Faure : Et dans le cadre de Théâtre Ouvert, que devenaient les textes sélectionnés par le comité de lecture ?
Sylvie Barré : Micheline Attoun écrivait à l’auteur. Et pour la suite, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’un texte de théâtre doit passer l’épreuve du passage à la scène. Et pour découvrir de nouvelles écritures, de nouvelles formes, il faut pouvoir oser, expérimenter. Et il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes femmes, des auteures qui osent ! Je me souviens d’une pièce de Pauline Peyrade, Les Bois impériaux, publiée aujourd’hui par les Solitaires Intempestifs. J’avais adoré découvrir ce texte ou la didascalie (textes donnant des indications, généralement écrites en italiques) est aussi importante que le texte dit par les personnages et qui dans le cas de ce texte deviennent un personnage lui-même.
Laurence Faure : Le texte de théâtre, cela tient à la présence possible de didascalies ?
Sylvie Barré : Ce serait réducteur ! et puis le scénario de films aussi donne de multiples indications. Et pourtant scénario et pièce, ce n’est pas la même chose. Je crois que dans l’écriture théâtrale, on peut faire parler des personnages, les laisser créer et exprimer des images qu’on ne trouve pas ailleurs. Mais surtout, le texte de théâtre n’est pas une fin, c’est un document à partir duquel on construit.
Le texte de théâtre n’est pas une fin, c’est un document à partir duquel on construit.
Laurence Faure : Que penses-tu des genres : comédie, drame, tragédie ?
Sylvie Barré : Différencier des genres, peu importe. Je préfère repérer qu’il y a des textes fleuves, comme avec les textes de Wajdi Mouawad, que j’adore, et des textes courts, brefs, qui s’associent et se construisent dans un ensemble, dans une articulation, comme ceux de Philippe Minyana, que j’adore tout autant.
Laurence Faure : Alors, je profite de cette remarque : quels sont les auteurs qui t’ont marquée, que tu as particulièrement appréciés ?
Sylvie Barré :Wajdi Mouawad, Philippe Minyana, et aussi d’autres comme Denise Bonal, Noëlle Renaude, Paul Emond, Pauline Peyrade, pour leur nouveauté, même si leurs textes n’ont pas toujours été montés avec génie. Et puis j’aime Jean Claude Grimberg. Il a une écriture plus classique mais ce mouvement dont je te parlais est toujours présent dans ses textes. Et puis il y en a des tas d’autres aussi qui ne me viennent pas à l’esprit.
Laurence Faure : Qu’est-ce que tu attends du théâtre, en tant que lectrice et en tant que spectatrice ?
Sylvie Barré : J’attends que ces moments où je lis ou j’assiste à une représentation me surprennent, m’apprennent des choses, me fassent changer. Et plus particulièrement pour les textes, qu’ils me ravissent du quotidien, qu’ils me fassent oublier qui je suis, qu’ils m’invitent à les lire sans les lâcher. C’est vrai que ce n’est pas facile au départ de lire un texte de théâtre. Mais quand je lis, j’écoute, même si je ne suis ni comédienne ni metteuse en scène. C’est cette petite magie que je cherche, et si cela ne se produit pas, c’est que le texte demande un retravail, manque de quelque chose. Beaucoup de textes sont écrits sans être joués. En éditer permet à quelques-uns d’émerger et de mettre en relation auteur et metteur en scène, équipe.
Laurence Faure : Merci Sylvie !
Laurence Faure est comédienne, animatrice d’ateliers d’écriture chez Aleph Écriture depuis 2002, elle intervient également en formation et coaching sur des thèmes liés à la communication et au management pour des entreprises (BNP, Thalès, Peugeot), pour des organismes de formation (Avant-Scène, Trilog, Emergence Formation), en écoles (IGS Paris, Ecole Polytechnique, Ecole du Barreau de Paris, ENSIIE, EFPP, Paris 13, Paris 8).
Parmi les stages qu’elle animera en janvier le module 1 de la formation générale à l’écriture littéraire « Oser écrire » , du 29 Janvier au 12 Mars 2022 à Paris et « Oser écrire » par e-mail à partir du 11 janvier 2022.