Véronique Cauquil
Luna escalade le mur, en bas Juliette la presse « dépêche on n’a pas toute la vie » elle rit d’excitation.
À l’internat elles ont dit « on rentre à la maison » aux parents « ce week end on révise chez une copine ».
Le doigt de Juliette descend sur la carte, Fontainebleau- Paimpol, dans la tête c’est rapide, un grand toboggan jusqu’en Bretagne.
Il s’est arrêté, Juliette derrière, Luna devant, il a démarré, malgré la nuit elle a vu ses pieds posés sur une poitrine débordante, une bouche déformée de rouge à lèvres, le sexe coincé dans un bout de tissus. Luna a bougé ses jambes délicatement, ne pas abimer la femme de papier froissé.
Devant leurs yeux ahuris du manque de sommeil le jour se lève sur la mer, la nuit a balayé le paysage, frotté les respirations d’humus, brossé les mousses, les écorces, l’humidité de la forêt, lavé les feuilles de pluie, l’asphalte sale de la route.
Elles sont montées tout en haut de la falaise, le calvaire mémoire des Terres Neuvas, incrusté de brisures de coquillages, d’ammonites, de cristaux de tempête veille, les fils d’écume volent, se prennent dans leurs cheveux, s’entortillent sur les longues herbes, des airs de barbe à papa enroulés à leur tige et des têtes de mais soufflés leur naissent au sommet, les mouettes en piquée tracent des filets de ciel blanc sur les bateaux de pêche, des morceaux de nuit plongent dans les eaux profondes, reviennent à la surface de grandes vagues bleu ardoise s’élançant vers le toit des maisons bretonnes au granit gris, tout en bas les boules d’hortensias rose malabar, un vent à couper la respiration ça les fait rire, elles se tiennent serrées l’une à l’autre, dans un sifflement continu les pêcheurs emmaillotés de leur linceul de varech au chagrin des femmes de marins disparus les traversent.
Luna la capuche relevée, les mains jointes sur le nez respire l’odeur d’iode, l’attente, la hâte, le désir tout à la fois lui montent.
Tu comprends toi quand c’est la prochaine traversée pour l’Ile de Brehat ?
Je crois que ça dépend des heures de marée, viens on demande au café.
Luna suit Juliette, au lycée Luna fidèle suivait Juliette.
Juliette te fait du bien, depuis que tu la connais tu as changé disait son père, tu n’es plus tout le temps dans ta chambre, ça lui faisait peur cette solitude chez sa fille, qu’est-ce qu’elle pouvait faire toute seule dans sa chambre ? Ça ne sert à rien d’être seule sauf à devenir folle, n’empêche en matière de folie c’est Juliette qui avait eu cette idée de faire du stop pour aller en Bretagne. Ça lui était venu après qu’un astéroïde blond d’un mètre quatre-vingt-cinq atterrisse au lycée en milieu d’année, Roman.
Le sourire timide mais de la fougue dans les mots, les cheveux mêlés d’un vent vif, aussi de la grâce dans le corps, les manières du chat naviguant sur les toits. Un garçon pas ordinaire plutôt un genre de catastrophe, car l’amour n’est pas autrement que Roman, il ne sait pas qu’il ravage Luna en ondes irrésistibles, un choc de plaisir répété, ça la remue de la tête au ventre, ses jambes ne la portent plus, elle a des étourdissements, l’esprit comme cogné à un réverbère, mille étoiles de Roman lui tournent.
Aux vacances de La Toussaint quand Roman part avec son cousin pour l’Ile de Bréhat, Juliette décide de faire une surprise aux garçons.
Le bateau zigzague sur la vague, « le rivage est plus sûr mais j’aime me battre avec les flots » Emily Dickinson ! hurla de joie Juliette en direction de Luna accrochée au banc déserté de la navette, une dernière vague et l’embarcation accosta au ponton de l’ile.
« Mais il est parti Roman » Juliette regarde le palmier du jardin familial, tradition depuis le siècle des Lumières on a planté l’arbre quand un capitaine rentra après un long voyage périlleux autour du monde.
Luna lève les yeux, le mat de vaisseau de trente mètres fait le guet, elle l’entoure de ses bras, caresse son écorce de bois brun en forme d’écailles de poisson, tout en haut son chapeau de feuilles palmes doucement agite le ciel.
Juliette toise le palmier de haut en bas « et des racines jusqu’à la Chine surement ! »
Elle prend Luna par le cou, l’entraine,
Nous aussi nous sommes capitaine !
On va lui envoyer une carte postale de notre tour du monde à nous.
,À l’épicerie de l’ile elles choisissent un chalutier en pleine tempête et se mettent à écrire
un vrai roman ce voyage ; )
un cochon nous a conduit dans sa voiture !
un bateau ivre jusqu’à ton ile
mais tu as disparu
Des palmiers capitaine t’ont ils aperçu ?
la terre n’ est pas plate
où es tu pirate ?
Dans la nuit du retour le trente-six tonnes s’est arrêté, un ruban de petites lumières clignotaient, l’avant du camion illuminé on aurait dit une capsule spatiale prête à décoller, elles ont grimpé dans la cabine, la radio a annoncé le changement d’heure, Juliette qui n’aime pas perdre a dit « un garçon de perdu une heure de sommeil gagnée »
Luna sait que seule dans sa chambre elle écrira le monde quand on le rêve tout en haut et aussi les étoiles éteintes quand on se sent tout en bas.
Il n’y a pas de solitude inutile.