Présentation de situations d’enseignement par Daniel SOUKUP
Daniel Soukup (1976) est diplômé en anglais, allemand, littérature tchèque et théorie littéraire de l’Université Charles (Prague, République Tchèque). Il enseigne à la faculté des Lettres Josef Škvorecký (Prague) depuis 2002 et occupe depuis 2010 le poste de vice-recteur de l’université affecté aux relations internationales. Il a été en 2005 un des fondateurs du réseau européen des programmes d’écriture créative dont il a été le premier coordinateur (2005–2010), et est ensuite devenu vice-président de l’European Association of Creative Writing Programmes (EACWP) [Association européenne des programmes d’écriture créative] (depuis 2010). Il a publié des traductions, de la poésie et des articles de recherche.
Le point le plus évident qui fait obstacle à une coopération fructueuse dans le domaine des ateliers d’écriture en Europe est l’incroyable multitude de langues en pratique. En théorie, nous ne pouvons qu’être heureux de cette richesse linguistique, mais dans notre quotidien, nous sommes trop souvent confrontés aux problèmes pratiques qu’elle pose. Dans la mesure où il semble souvent difficile de se comprendre les uns les autres, même sur des sujets triviaux, enseigner l’écriture dans une langue étrangère peut sembler une impossibilité insurmontable. Néanmoins, l’expérience montre qu’il existe, en fait, un vaste champ de possibilités entre l’idéal abstrait du plurilinguisme et cette exaspération liée à l’incompréhension : car les étudiants et enseignants qui parlent des langues différentes se rencontrent, interagissent et apprennent les uns des autres.
Je voudrais vous présenter ici les situations de classes les plus typiques impliquant une seconde langue, et faire le point sur les défis que cela soulève. La plupart des exemples concrets viendront de ma propre expérience, car je ne me sens pas capable de parler de l’enseignement des autres. Mais je vise à proposer une matrice simple qui puisse servir à systématiser l’expérience d’autres enseignants et étudiants.
Dans le panorama qui suit, la langue utilisée par les étudiants dans leurs écrits sera appelée X. En plus de celle-ci, il y a trois autres langues à prendre en compte : celle dans laquelle se déroule la formation, celle de l’enseignant et celle des étudiants. Bien sûr, deux ou trois d’entre elles peuvent se résumer à une seule (c’est généralement le cas). Je laisserai de côté le cas d’enseignants bilingues ou polyglottes, mais je prendrai en compte la possibilité d’un groupe plurilingue.
Je ne compte pas aborder toutes les combinaisons logiquement possibles, mais seulement les plus typiques. En fait, il semble peu vraisemblable que les situations qui ne seront pas listées ici puissent se produire, par exemple l’idée d’un professeur tchèque expliquant en tchèque à des étudiants finnois comment écrire en finnois (schéma XAAX) semble étrange. Mais on ne peut jamais savoir quels cocktails linguistiques la vie nous réserve, surtout en Europe !
En dehors des langues utilisées, il me faudra bien sûr examiner l’objectif que recouvre l’enseignement de l’écriture dans une langue étrangère, objectif qui peut varier d’un pays à l’autre. Pour systématiser l’expérience pédagogique, j’utilise la typologie des attitudes envers l’écriture créative telles que définie par Paul Dawson dans son livre Creative Writing and the New Humanities (L’écriture créative et les Lettres modernes). Selon Dawson : « L’écriture créative est le produit de quatre trajectoires institutionnelles – chacune reposant sur une théorie spécifique de la littérature, des auteurs et de la pédagogie – qui parfois entrent en conflit et se superposent. Je vais nommer ces trajectoires : expression créative du soi, compétences d’expression, technique et lecture de l’intérieur” (Dawson 2005: 49). Il résume ces approches comme suit.
L’expression créative du soi est une technique de la personnalité dans laquelle le langage (essentiellement dans la poésie) est un outil de découverte et de développement du potentiel expressif du caractère humain propre à l’auteur. Le modèle compétence d’expression replace l’écriture créative au cœur d’un enseignement général de l’écriture qui forme les étudiants à une variété de modes d’expression destinés à une précision de la communication personnelle et professionnelle. Le modèle technique implique la conjonction de la critique formaliste et du concept de la formation artistique associée aux Beaux-arts. La lecture de l’intérieur repose sur l’idée que l’expérience de l’écriture littéraire mène à un plus grand savoir et à une meilleure appréciation du savoir ainsi acquis. (ibid. : 49)
Bien entendu, l’application de la typologie de Dawson est moins objective et moins généralisable que les listes de langues utilisées. Car au final, l’objectif pédagogique général dépend toujours de la formation concernée.
Situation 1: Un tchèque enseigne à des tchèques l’écriture en anglais
Langue de l’écrit: X
Langue de l’enseignement: X et/ou A
Langue première de l’enseignant : A
Langue première des étudiants: A
De toutes les situations listées ici, celle-ci est la moins pertinente en ce qui concerne la coopération internationale dans le domaine de l’écriture créative, dans la mesure où l’enseignant et les étudiants parlent la même langue première. Le seul élément international est la langue étrangère utilisée pour les écrits, et parfois pour les consignes. Mais je ne crois pas en des frontières très définies, et il me semble que toutes les approches de l’enseignement de l’écriture dans une langue étrangère peuvent s’inspirer les unes des autres.
C’est une configuration qu’on retrouve d’ailleurs plus souvent dans les cours de langue étrangère qui incluent l’écriture dans les quatre compétences de base (lire, écrire, parler, écouter) que dans des ateliers d’écriture. L’enseignement de l’écriture dans cette perspective peut inclure des exercices de créativité et le fait souvent. Les plus courants semblent être les exercices de narration, car le fait de raconter des histoires, une spécificité humaine universelle, permet de dépasser les écarts culturels et linguistiques. Mais on peut aussi défendre des formes qui pourraient être considérées comme plus difficiles comme, par exemple, la poésie.
Par exemple il existe un manuel centré sur « la lecture et l’écriture de poèmes avec les étudiants d’anglais » ; il propose une liste de raisons selon lesquelles on peut « utiliser la poésie pour apprendre l’anglais » : 1) la poésie relève d’un anglais spécial, comme l’anglais scientifique ou l’anglais journalistique… qui mérite donc d’être enseigné au même titre ; 2) la poésie nous aide à comprendre les rythmes spécifiques d’une langue ; 3) les poèmes sont souvent faciles à mémoriser ; 4) les sujets dont parlent les poèmes sont intéressants – et importants ; 5) le processus d’écriture de poèmes, surtout en groupe, mène à des discussions fructueuses, sur des sujets qui importent vraiment aux participants ; 6) [l’écriture de poèmes] permet d’essayer diverses manières de dire la même chose ; 7) [l’écriture de poèmes] donne un but à l’exercice d’écriture et permet d’inclure sentiments et idées personnels. (Maley and Moulding 1985: 1)
Un autre auteur affirme même que, parfois, il se peut que nous écrivions « mieux dans une langue qui n’est pas notre langue première. Nous écrivons simplement, allons droit au but, et sommes plus attentifs aux sonorités de cette langue parce qu’elles sont nouvelles et merveilleuses. Nous évitons les clichés, sans doute parce que nous ne les avons pas si bien intégrés. » (James 2007: 13)
Certains genres littéraires sont particulièrement adaptés à l’enseignement des langues. Par exemple, la « poésie concrète » expérimentale est souvent utilisée dans l’enseignement de l’allemand, parce qu’elle ouvre le champ d’une expérimentation ludique du langage, tout en familiarisant les étudiants avec les structures types de l’allemand. De plus, il est assez facile de composer ce type de poèmes dans une langue étrangère, même sans être d’un très bon niveau, et c’est très motivant. Si on en revient à la typologie de Dawson, cette situation se range dans la catégorie compétence d’expression, avec quelques éléments d’expression créative du soi (inclure les sentiments et idées personnels). On peut même y introduire la lecture de l’intérieur.
Situation 2: un américain enseigne à des tchèques (et autres) à écrire en anglais
Langue de l’écrit: X
Langue de l’enseignement: X
Langue première de l’enseignant : X
Langue première des étudiants: A (B, C…)
Comme la précédente, c’est une situation qu’on rencontre souvent dans l’enseignement des langues étrangères, mais qui n’est pas limitée à cela. Ici, je ne peux pas parler d’expérience, car il ne semble pas qu’il y ait beaucoup d’étudiants désireux d’apprendre à écrire dans ma langue première, le tchèque. Néanmoins, je peux apporter quelques remarques. De toute évidence, l’enseignant dans la situation 2 (qui enseigne dans sa langue première) a un avantage sur celui de la situation 1 (qui enseigne dans une langue étrangère). En fait, si un des objectifs principaux du cours est de faire progresser les étudiants à l’écrit, le choix d’un enseignant natif est sans doute préférable. C’est pourquoi par exemple, à l’Académie Josef Skvorecky, le séminaire optionnel « Écriture créative en anglais » (pour les étudiants tchèques) a toujours été pris en charge par des enseignants d’origine anglo-saxonne.
Avec un enseignant natif, l’objectif global de la formation peut, en plus de l’approche compétence d’expression (enseignement de l’écriture), aborder l’aspect technique et enseigner aux étudiants à produire, par exemple, des nouvelles « bien écrites ». Cependant, si l’enseignant n’a expérimenté l’écriture créative qu’avec des étudiants de la même langue première, il peut éprouver quelques difficultés à ajuster ses exigences à des étudiants étrangers, et avoir tendance à sous-estimer ou surestimer leurs travaux. Autre inconvénient envisageable de ce type de situation d’enseignement : l’enseignant risque, dans ce cas, de détenir un trop grand pouvoir symbolique dans la mesure où c’est lui qui dispose de l’autorité pédagogique et sociale (en tant que professeur), l’autorité linguistique (en tant que natif) et même l’autorité artistique (s’il est écrivain).
Situation 3: Un enseignant tchèque enseigne à des finnois (et autres) à écrire en anglais.
Langue de l’écrit: X
Langue de l’enseignement: X
Langue première de l’enseignant : A
Langue première des étudiants: B (C,D…)
J’utiliserai ici comme exemple celui de l’atelier « Comprendre et écrire des histoires (courtes) » que j’ai conduit en septembre 2012 à l’université de Jyväskylä (Finlande). Avant le cours, j’ai demandé aux étudiants de lire Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, une sélection de nouvelles de James Joyce (dans Gens de Dublin), et d’autres de l’auteure canadienne Alice Munro (extrait du recueil Progress of Love) – un choix hétérogène qui, de manière pragmatique, utilisait une liste d’ouvrages que les étudiants devaient de toute façon lire pour un autre cours. Nous avons fait trois cours, un par auteur. Le groupe d’étudiants était assez varié, composé de finnois et d’étudiants d’autres pays. Il y avait même un tchèque et un américain, ce qui fait que la liste des langues premières devrait inclure, en plus de B,C,D… A et X. Avec une liste de lecture aussi diverse, j’ai utilisé une approche simple, et ai demandé aux étudiants de se concentrer sur les aspects suivants des histoires qu’ils lisaient : a) personnages, b) intrigue, c) décor, d) atmosphère, e) émotions, f) style, g) références culturelles, et h) sens global. Dans chaque cours, nous avons travaillé sur deux ou trois de ces éléments. Nous avons par exemple parlé du sens global d’Au cœur des ténèbres (question de l’allégorie), des ruptures de style dans l’histoire de Joyce Les morts, ou de la description des personnages chez Alice Munro. Chaque thème abordé a donné lieu à un court exercice d’écriture. Pour en revenir à la typologie de Dawson, on peut dire que cet atelier a mis en œuvre des éléments de technique et de lecture de l’intérieur.
Situation 4: Un tchèque enseigne à des Autrichiens à écrire en allemand
Langue de l’écrit: X
Langue de l’enseignement: X
Langue première de l’enseignant : A
Langue première des étudiants: X
C’est une situation pédagogiquement intéressante, car elle met indiscutablement l’enseignant en porte à faux, dans la mesure où, non natif, il enseigne à des natifs à écrire dans leur propre langue. Dans cette configuration, l’enseignant pourrait bien se retrouver en situation d’apprendre quelque chose des étudiants mais, en tant qu’enseignant, il lui faut découvrir quelque chose à leur apprendre. À moins qu’il ne soit particulièrement à l’aise dans cette langue étrangère, c’est plutôt vers l’aspect technique de la typologie de Dawson qu’il lui faudra se tourner.
Je prendrai ici comme exemple l’atelier Traductions tchèque-allemand (partie « Royaume de Bohème ») que j’ai conduit à Vienne en mai-juin 2012 (organisé conjointement par l’école de poésie de Vienne et l’Université d’Arts appliqués). L’atelier se divisait en trois séances. La langue première des étudiants était l’allemand, même si tous ne venaient pas d’Autriche : l’un était du Tyrol et un autre avait même des ancêtres tchèques. Il était prévu 4 cours et une présentation publique finale. En réfléchissant à ce que j’allais pouvoir proposer à des étudiants dont je ne parle qu’imparfaitement la langue, j’ai décidé de me concentrer sur la longue histoire des relations entre l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Dès 1526, nous avons vécu sous l’empire des Habsbourg et même après sa dissolution en 1918, il restait une minorité germanophone en Tchécoslovaquie, jusqu’à ce que la plupart soient expulsés après la seconde guerre mondiale. Je n’avais pas le temps de faire une révision historique exhaustive, mais cela m’a permis d’introduire des éléments linguistiques, historiques et culturels liés à cette coexistence passée, afin de permettre aux étudiants de se les approprier de manière imaginative. Je me suis inspiré du roman La fuite en Égypte (Die Flucht nach Ägypten) d’Otfried Preußler (1923), un auteur germanophone né en Bohème et expulsé par les tchèques. J’ai du mal à inclure cet atelier dans la typologie de Dawson. On peut sans doute dire que c’était un mélange d’expression créative du soi, de technique et de lecture de l’intérieur, mais avec une importante coloration culturelle qui reliait toutes ces approches. Par ailleurs, certains exercices et échanges se sont éloignés des problèmes Tchèques-Autrichiens-Allemands pour se recentrer sur des questions plus générales telles que le rôle de la mémoire dans la construction de l’identité, ou sur des points stylistiques spécifiques. Les trois textes lus en public à la fin étaient bien représentatifs de ces divergences dans le groupe : le premier était issu de l’exercice L’histoire et le narrateur se pourchassent l’un l’autre (inspiré de la technique narrative du roman de Preußler) ; le deuxième étudiant a écrit une réflexion de type essai inspirée par quelques lignes du poète irlandais Seamus Heaney : « La mémoire comme un immeuble ou une ville, / Bien éclairée, bien dessinée, pourvue de / Tableaux vivants et d’effigies en costume » (Heaney 1991 : 75) ; et le troisième étudiant a décrit la vie imaginaire de deux personnages dans une photo, probablement une mère et son fils. C’est une photographie que j’ai découverte dans une vieille maison d’une région frontalière en République tchèque, jadis peuplée par une communauté germanophone. Réinventer leur biographie oubliée est une manière de rétablir, au moins dans un moment d’imagination, quelque chose qui fut écrasé par les forces brutales de l’Histoire. Cet exemple montre que, s’il existe un fond culturel partagé, le travail avec des objets « trouvés » ouvre pour les étudiants – et les enseignants – un potentiel riche tant culturel que linguistique. Par exemple, le poète tchèque Radek Fridrich collecte les inscriptions en allemand sur les pierres tombales dans des vieux cimetières et les utilise dans ses écrits. En voici un exemple :
Fragment
Anna
geb.
Wirtschaftsb
gest. 6.
im 48. L
Gatt nub
und
Josef
edin
Septemb
68. Lebensj
(Fridrich 2002)
Ce poème, manifestement la transcription littérale d’une inscription funéraire à demi détruite, est entièrement en allemand, mais il a été publié dans un recueil en tchèque écrit par un poète tchèque. De manière discrète, il en dit long sur la mémoire historique, l’identité nationale et la nostalgie, tout en donnant une idée claire de ce que pourrait impliquer « d’écrire dans une langue étrangère ».
Pour son dernier projet, Christian Ide Hintze, poète autrichien et fondateur de l’école de poésie de Vienne, a travaillé sur ce qu’il a appelé « Septuple poétique », intégrant la poésie traditionnelle à d’autres types de poésies (acoustique, visuelle, performative, interactive, infrastructurelle, et instructive). Dans son idée, il s’agissait de s’éloigner de l’intérêt exclusif pour un « langage national standardisé » et de l’effort pour « trouver la vérité dans le noir et blanc des lettres et espaces sur la page » (Hintze 2010 ; voir aussi le site du projet : www.ide7fold.net).
L’enseignement de l’écriture dans une langue étrangère semble mieux fonctionner quand, outre les aspects littéraires, il aborde des éléments de performance ou de culture. Un bon exemple de cela est le succès des ateliers d’art dramatique destinés à des étudiants finnois et tchèques qui se sont déroulés à l’Académie Littéraire. La langue du cours et des écrits était l’anglais, et l’atelier était co-animé par Harri István Mäki (de l’Université d’Orivesi) et un enseignant d’écriture créative natif (Joanna Coleman et Brad Vice).
De plus, le concept visionnaire de Hintze « Septuple Poétique » correspond bien à des idées telles que celle de l’hybridation qui gagnent du terrain dans notre monde de plus en plus interculturel. Je vais vous donner deux exemples de l’impact que cela pourrait avoir sur l’écriture. Dans son livre sur « la littérature entre les cultures », Sabine Scholl cite le livre fondateur Borderlands/La Frontera :
The New Mestiza (1987) par l’auteure mexicano-texane Gloria Anzaldúa:
To live in the Borderlands means you
are neither hispana india negra española
ni gabacha, eres mestiza, mulata, half-breed
caught in the cross-fire between camps
while carrying all five races on your back […];
To live in the Borderlands means to
put chile in the borscht,
eat whole wheat tortillas,
speak Tex-Mex with a Brooklyn accent […]. (Scholl 1999 : 59–60)
(Vivre dans les zones frontalières, ça veut dire que
Tu n’es ni latino indienne nègre espagnole
Ni gringa, tu es métisse, mulâtre, sang-mêlé,
Prise entre deux feux
En portant sur ton dos toutes les cinq races […] ;
Vivre dans les zones frontalières, ça veut dire
Mettre du piment dans le bortsch,
Manger des tortillas de blé complet,
Parler tex mex avec un accent de Brooklyn […])
Scholl note des parallèles entre les zones frontalières géographiques (la frontière entre le Texas et le Mexique), le corps et la conscience de la « nouvelle métisse », et le style du livre d’Anzaldúa : tous reflètent la même hétérogénéité (ibid.: 61.)
Margaret Anne Clarke utilise la même métaphore dans son article « Écriture créative à la frontière » qui analyse les textes d’étudiants écrits lors d’un concours en langue étrangère à l’Université de Portsmouth. Clarke voit l’écriture en langue étrangère comme un moyen de dépasser le concept traditionnel de « locuteur natif », utilisé comme un « indicateur selon lequel l’apprentissage d’une langue se doit d’atteindre l’idéal imparfait du ̎locuteur presque natif ̎». Dans un monde de plus en plus global, ce concept élitiste et monolithique de l’apprentissage des langues semble dépassé, de même que l’idée d’une entité homogène et monolithique représentant la langue « officielle » d’un pays. Dans l’enseignement des langues, il ne s’agit plus « de faire en sorte que les étudiants apprennent tout d’une langue différente et d’une culture situées quelque part au-delà de ses frontières, mais du troisième espace d’une hétéroglossie qui émerge au cœur de la conscience des apprenants. » Quand il écrit dans une langue étrangère, « l’étudiant en langue…contribue activement à l’évolution de la langue au sein la communauté linguistique qu’il a choisie ». (Clarke 2008)
L’aspect le plus significatif de ce « troisième espace » linguistique est peut-être le fait que, comme le dit Clarke, il est fondé sur le choix : écrire dans une langue étrangère n’est donc pas seulement ouvert à un nouveau métissage, ou à des poètes tchèques vivant dans des régions pleines de vieux cimetières allemands. Nous sommes tous libres d’apprendre n’importe quelle autre langue, et de faire usage de ses mots dans notre enseignement et notre écriture.
Bibliographie
Anzaldúa, Gloria (1987) : Borderlands/La Frontera: The New Mestiza. San Francisco : Aunt Lute Books.
Clarke, Margaret Anne (2008) : “Creative Writing in the Borderlands”. http://www.academia.edu/412837/Creative_Writing_in_the_Borderlands Dawson, Paul (2005) : Creative Writing and the New Humanities. London and New York : Routledge.
Fridrich, Radek (2002) : Erzherz. Olomouc : Votobia.
Heaney, Seamus (1991) : Seeing Things. London : Faber and Faber.
Hintze, Christian Ide (2010) : “Poetry in times of transition. 7fold poetics”. Présentation pour la 2ème conférence internationale sur la créativité et l’écriture, Orivesi, Finland, 19–22 Nov 2010.
James, Gill (2007) : “Thinking outside the box: Creativity in language learning”. In : Toungefreed 2006/07. Creative Writing in a Foreign Language. University of Portsmouth.
Maley, Alan and Sandra Moulding (1985) : Poem into Poem. Reading and writing poems with students of English. Cambridge : Cambridge University Press.
Preußler, Otfried (1991) : Die Flucht nach Ägypten. Königlich böhmischer Teil. Stuttgart – Wien – Bern : Thienemann.
Scholl, Sabine (1999) : Die Welt als Ausland. Zur Literatur zwischen den Kulturen. Wien : Sonderzahl.