Lancé le 28 mai dernier, il est temps de vous annoncer les résultats de notre atelier d’écriture live gratuit autour du dernier livre de Marianne Jaeglé « Un instant dans la vie de Léonard de Vinci et autres histoires ». Vous aviez jusqu’au 8 juin pour nous envoyer vos textes, et voici le nom des gagnants.
Chacun d’entre eux recevra un exemplaire du livre de Marianne Jaeglé.
Nous vous remercions de votre belle participation à cet atelier Aleph exceptionnel… en attendant de vous retrouver pour notre prochain concours estival de nouvelles début juillet en visio sur notre plateforme !
Monique Laucournet
Un instant dans la vie de Pina Bausch
Des chaises
des tables
enlever les chaises
transporter les tables
des rangées de chaises
ranger les tables.
Il y a souvent des chaises et des tables dans les ballets de Pina Bausch. Des rangées, des empilements. Et des corps qui se jettent contre les murs, au sol, des marches, des marcheurs magnifiques, des files indiennes, des pas de tango, des gestes osés, des gestes déplacés …
A l’hôtel-restaurant de Solingen, tard le soir, quand les derniers clients sont partis, titubant, lourds d’alcool et de charcutaille, il faut ranger les tables, empiler les chaises. Pina déjoue cette corvée, tournoyant,
chutant,
se relevant
se redressant
debout
autour
à terre….
Ce soir un vieux soldat s’attarde après la fermeture, la regarde, la scrute : « Tu danses petite ! Veux-tu apprendre le tango ? »
Un pas
deux
un pas de deux…
Il l’enlace, il transpire, elle se laisse porter, transporter, elle se laisse traîner, régenter.
Il l’empoigne l’emprisonne la bloque !
Elle rompt, se dégage, s’esquive, s’évade, se carapate, elle glisse elle s’enfuit, elle se dérobe…
« Je vais danser, danser vraiment, danser tous les jours de ma vie, danser pour toujours. » Ainsi parle Pina, longue silhouette fluide, épurée, yeux de glace bleue où loge un regard trop humain. Madone maigre.
L’élégance pure le dépouillement total l’épure l’abstraction et soudain le corps violent projeté le geste brutal puis la caresse légère et d’une infinie douceur le long du corps.
Le geste qui inscrit, qui écrit, la violence du monde, la grande geste de ce monde…
Myriam Monfront
La cabine de bain
Père fit claquer la porte de la cabine derrière moi. Il en abaissa brutalement le loquet.
Nous nous retrouvâmes à l’étroit l’un et l’autre dans cet espace étriqué. Mes maigres mollets étaient plaqués contre le rebord du banc de bois tant et si bien que ma seule issue fut de m’asseoir et de me blottir ainsi au fond de la cabine. L’atmosphère était moite et exhalait le chlore. Le corps colossal et massif de mon père occupait tout l’espace et je ne savais où me mettre, moi svelte et chétif, je ne faisais pas le poids face à ce géant viril, poilu, musclé, à la gestuelle assurée et brusque. Je semblais quant à moi, un être maladif et mal assuré, ce qui avait le don de l’exaspérer. J’avais le sentiment que cela l’irritait et exacerbait chez lui le désir de me commander davantage, peut être avec le secret espoir que mon caractère en soit un jour renforcé.
Mais en attendant, ce rapport inégal ne faisait qu’accroître entre nous une impression de profond malaise. Il me frictionna vigoureusement avec une serviette sèche et rêche. Je réprimai alors quelques gloussements sourds pour ne pas lui renvoyer davantage l’image d’un fils fragile et douillet. Il l’aurait sans doute perçu comme une offense.
Mon regard noir scrutait ce large visage paternel et je m’évaporais dans mes songes intérieurs…L’atmosphère était tiède et comme nimbée de vapeurs chaudes. Je me dérobais à l’instant présent grâce à mon imaginaire …
À mesure que mon père affirmait son caractère péremptoire et tranchant, je me glissais dans chaque faille, pour m’octroyer le droit de douter, de questionner ses assertions. Il incarnait un pragmatisme terrien et réaliste. Il n’aimait guère l’idée que sa progéniture soit faible. Un écart se creusait entre nous. J’observais régulièrement ses sourcils noirs et drus se froncer sous son large front ombrageux et plissé. Tandis que je m’échappais dans mes pensées, mes rêves et mes contemplations quotidiennes, lui, montrait toujours plus d’impatience envers moi.
Mon père lorsqu’il empoignait une cuisse de poulet de ses larges mains légèrement velues sur le dessus, ouvrait sa large mâchoire et ses dents se rabattaient tel Ouranos sur les chairs à sa merci…
À ce moment précis, recroquevillé et accroché à mon banc, il me semblait que c’était moi, le pathétique volatile sous son emprise, dans cette cabine de bain aux allures de cercueil à la verticale, dans laquelle j’étouffais.