Christian Lefaure : « Sculptons nos vies »

« Écrire et publier son histoire de vie » est un atelier sur 8 mois (7 modules de 2 jours), permettant aux participants d’écrire leur histoire sous forme de livre. Une initiative du Pélerin et d’Aleph-Écriture à Lyon, Lille, Paris, Angers. Nous avons rencontré Christian Lefaure, sculpteur, marcheur, résolument tourné vers les autres et passionné par la transmission. Il a choisi de construire son livre selon 4 axes : marcher, créer, travailler et s’engager.

L’Inventoire : Bonjour Christian, vous avez commencé ce programme depuis le mois de septembre et vous en êtes à la phase de relecture de votre manuscrit. Tout d’abord, bravo à vous ! Mais revenons au début de cette aventure : comment avez-vous connu cet atelier ?

Christian Lefaure : Je suis abonné au Pèlerin, et connais deux journalistes de Bayard qui savaient que j’étais entré dans une phase d’écriture d’un ou plusieurs livres, et que j’avais mis en place un dispositif me permettant de transmettre mes expériences via le théâtre, la « conférence gesticulée », des podcasts. Elles m’ont toutes deux parlé d’Aleph, et étaient très satisfaites de ce qu’elles y avaient fait.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire votre histoire de vie, justement maintenant ?

Pendant le 1er confinement, une intervention chirurgicale m’a convaincu qu’il ne fallait pas tarder pour transmettre. Par ailleurs j’avais du temps et écrire ne m’étais pas interdit. J’ai retrouvé le manuscrit d’un journal que j’avais tenu quand j’avais 19 ans (celui d’un grand périple Nord-Américain en auto-stop). La dimension autobiographique est apparue à ce moment-là. J’ai repris ce journal de voyage, je l’ai tapé et en ai distribué le fichier à mes filles et petits fils, et quelques amis. Ils ont été intéressés.

J’ai choisi ce qui a donné du sens à ma vie, ce qui m’a questionné, ce que je crois que nous pouvons faire pour mieux vivre ensemble.

À qui est adressé le récit que vous avez écrit durant cette formation ?

Contrairement à la plupart des autres membres de l’atelier il n’y a pas de demande explicite de mes enfants ou petits-enfants, donc je le destine à ceux qui auront envie de le lire, j’espère que ce sera le cas de mes enfants et petits-enfants et de leurs enfants par la suite, mais aussi mes amis jeunes et moins jeunes, ceux que je croise dans mes périples, peut-être ceux qui les connaissent et puis… je ne sais pas…

On ne peut pas tout transmettre d’une vie ? Avez-vous été obligé de faire des choix ?

Bien sûr, j’ai choisi ce qui a donné du sens à ma vie, ce qui m’a questionné, ce que je crois que nous pouvons faire pour mieux vivre ensemble. J’ai choisi des thématiques : marcher, créer, travailler et s’engager.

Mongolie : dans la steppe Mongole au Nord du désert de Gobie

Quelle était votre vie professionnelle, avant ?

Pendant 40 ans, j’ai travaillé sur la gestion du risque radiologique pour les professionnels exposés à la radioactivité dans tous les domaines, en vue de leur protection. J’ai aidé à monter de nombreux réseaux d’échanges d’expériences tant en France qu’à l’international.

Et maintenant ?

J’ai 75 ans, et ai définitivement arrêté de travailler à 69 ans et j’ai marché pour opérer une transition vers une nouvelle étape de vie. Cette étape a donc débuté par de grands périples à pieds, avec mon sac à dos, ma tente, pour partir à l’aventure. Au total j’ai marché 5000 kilomètres en France en 4 ans et rencontré sur le chemin plus de 200 expériences alternatives qui cherchent à mettre au centre le vivre ensemble, et le respect de notre planète pour assurer la durabilité de notre espèce. Ces personnes font de la permaculture, sont paysans-boulanger, travaillent dans des associations « ville en transition », mettent en place des monnaies locales complémentaires ou des fablabs, participent à des expériences d’éco habitat participatif.

Le dénominateur commun de ces rencontres : remettre l’homme et la planète au centre de nos activités.

Protection de l’humain, protection de la nature, place de l’individu dans le monde actuel, il y a une continuité dans votre histoire

Sculpture de Christian Lefaure : « Le tango »

Il y a une continuité mais je ne m’en suis pas toujours rendu compte. Les gens chez qui j’allais, me disaient « viens voir comment on fait », puis « tu vas faire quoi avec tout ce qu’on te dit et montre ? ». Je me devais donc de retransmette ce que je voyais, et je l’ai fait en découvrant le concept de « conférence gesticulée ». Au départ je faisais des conférences classiques avec powerpoint, puis très vite, comme l’attention se perdait, j’ai découvert une manière plus vivante de transmettre les messages en me mettant en scène : je suis à la fois marcheur et sculpteur.

Cette conférence : « Les sculpteurs de mondes » a pris forme. Elle dure 2 heures. J’invite l’assistance à faire des choix parmi les 10 saynètes correspondant à des expériences croisées. Je l’ai jouée 70 fois en 1 an !

La transmission c’est quelque chose qui m’habite, et m’a aussi habité professionnellement lorsque je mettais en place des réseaux pour favoriser l’échange des gens sur leurs expériences et leurs pratiques. Finalement, je faisais un peu la même chose quand je montais ces réseaux de retour d’expérience…

En quoi la démarche d’écrire un « récit de vie » est-elle différente ?

Pour rédiger mon récit de vie, j’ai préféré ne pas me contenter de transmettre ces expériences, mais plutôt faire apparaître ce qui a été moteur dans ma vie jusqu’à présent. Ce qui, de mon point de vue a donné du sens à ma vie.

Que vous ont apporté les propositions d’écriture ?

J’écrivais jusqu’à présent des rapports. J’ai compris que ma vie professionnelle a profondément marqué mon style d’écriture … J’annonce, je développe puis je synthétise sans laisser de place pour le lecteur car ma logique était de convaincre ! C’est un peu ce que m’ont renvoyé mes collègues d’atelier et l’animatrice lorsqu’ils ont lu le premier jet. Ça m’a fait prendre conscience que j’avais fait un rapport de synthèse sur ma vie, et pas écrit mon histoire de vie. C’était analytique et pas du tout un conte biographique. Pour écrire j’ai eu besoin de faire un plan très détaillé chapitre, section, paragraphes, sous paragraphes ; avec à chaque fois un titre, une introduction et une conclusion. Bien sûr tout cela évoluait avec le temps dans l’atelier. Mais quand j’ai eu les retours, je me suis rendu compte que c’était trop lourd, trop dense et j’ai suivi leurs conseils, j’ai gommé tous les titres sauf ceux des trois chapitres, j’ai enlevé introductions et conclusions si elles n’apportaient pas de témoignages vivants et nouveaux, mais j’ai gardé les thématiques.

Ces exercices m’ont permis de développer une autre vision des choses.

Qu’avez-vous préféré dans les consignes d’écriture de cet atelier de 9 mois ?

J’ai trouvé cet atelier passionnant de bout en bout. Les exercices sont pertinents, mais tout ce que j’ai écrit n’a pas été intégré dans le projet de livre, ce qui était de l’ordre trop personnel ou qui m’a permis d’accéder à une autre vision de ma vie, par exemple, lors de l’exercice sur « l’axe de vie ».

J’ai beaucoup aimé pratiquement tous les modules, la façon dont ils étaient gérés que ce soit le premier avec la réflexion sur les destinataires et puis tous les suivants, focalisés sur une succession de supports de l’écriture qui ont jalonnés notre vie : lieux, objets, personnes, évènements, le choix du temps – j’ai retenu le présent – et de la personne qui raconte : c’est ‘Je’. J’ai apprécié à chaque fois la succession, phase de réflexion puis recentrage, et une proposition d’écriture à faire immédiatement.

Ces exercices m’ont permis de développer une autre vision des choses. Si j’étais resté seul dans mon coin, je n’aurais pas été aussi loin dans la réflexion. Cela m’a permis de clarifier ce qui m’anime. Ça a été très fructueux dans ma tête.

Et le rôle du groupe dans ce travail ?

Ce sont des relations humaines très profondes, très chaleureuses et très respectueuses de chacun, ça restera quelque chose de très fort. L’écoute des autres, leurs réactions, leur support ont été des éléments très constructifs et stimulants. Et puis chaque vie est tellement riche et la découvrir est si nourrissant. Les rencontres c’est ce que je trouve extraordinaire. Dans la marche, aussi.

On s’est vu en présentiel en septembre dernier tous masqués, ensuite en visio jusqu’au mois d’avril. On se voyait sans le masque ! C’est officiellement la dernière fois que l’on s’est vu mi Mai, mais on se reverra.

Est-il possible de vous demander de livrer au lecteur la première phrase de votre livre ?

Début du livre :

"J’ai une dizaine d’années, c’est un Jeudi après-midi, je sonne au 13 rue Lebrun, 2eme étage droite. C’est tout près des Gobelins dans le 13ème arrondissement de Paris. Grand Père Jules m’ouvre avec, comme d’habitude, son sourire, sa calvitie et sa belle barbe blanche; après m’avoir embrassé, il sourit à nouveau et se pourlèche les babines : « Viens Christian, je t’attendais pour le préparer » et nous voilà partis pour casser quelques noix que nous mélangeons directement avec du miel et que je savoure doublement".

 

Christian Lefaure

Quelle est la prochaine étape pour vous ?

Une ré-écriture de mon troisième chapitre pour le sortir du mode ‘rapport’ puis ce sera l’étape de la publication.

Ensuite beaucoup de choses sont réapparues pendant cet atelier que je n’ai pas utilisées car elles n’entraient pas dans mes thématiques. Une fois que j’aurai fini de faire ce livre, j’ai envie d’en faire d’autres… par exemple sur les voyages marquants que j’ai faits, ou sur la sculpture ou peut être écrire des nouvelles. Sans doute avec de nouveaux ateliers d’écriture ?

Le meilleur souvenir de cette formation ?

Nous retrouver en présentiel et décider de faire une fête tous ensemble.

Merci Christian.

Photographie de couverture : Christian Lefaure en Patagonie : Torres del Paine au sud de la Patagonie Chilienne

Les sculpteurs de mondes (en cours de sculpture – Christian Lefaure).

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