Astrid de Laage « Virginia Woolf, vivre en écrivant »

A l’occasion de la parution de son roman l’an dernier chez Grasset : De la main d’une femme, nous avions rencontré Astrid de Laage pour parler de la genèse de son roman, lors d’un long entretien suivi d’un atelier. Elle animera cette fois, du 7 au 11 octobre 2024 en distanciel un stage d’écriture : Écrire dans le sillage de Virginia Woolf.

L’Inventoire : Vous avez participé à la 26ème Conférence sur Virginia Woolf à Leeds, « Virginia Woolf et son héritage ». Vous semblez passionnée par l’écriture de Virginia Woolf. Pourquoi  ?

Astrid de Laage : Je cherchais quelqu’un pour m’accompagner et me soutenir dans mon désir d’écrire. J’ai découvert Virginia Woolf, l’énergie qu’elle me donne est infinie.

S’il n’y avait qu’une chose à découvrir dans ce stage, ce serait cela : trouver ce lieu, en soi. Vivre en écrivant.

Est-ce un auteur qui vous inspire au quotidien ?

J’ai toujours un livre de Virginia Woolf avec moi. Son journal, ses lettres que je lis en parallèle de ses romans. Son écriture, très vivante est une compagnie, un soutien dans l’écriture et dans la vie. Marcher dans la campagne ou en ville, en laissant aller ses pensées, c’est pratiquer aussi le flux de conscience, s’ouvrir à la sensation.

Virginia Woolf vivait tout par l’écriture, c’est ce qui m’inspire. S’il n’y avait qu’une chose à découvrir dans ce stage, ce serait cela : trouver ce lieu, en soi. Vivre en écrivant.

En raison des structures narratives qu’elle a inventées ? Il y a différentes voix, différentes dimensions dans l’écriture de Virginia Woolf. Ces différentes voix se conjuguent, s’affrontent parfois. Très spontanée dans les lettres, elle est précise et juste dans la fiction, chercheuse dans ses carnets, toujours en quête de ce filet de sensations qui la traverse, explorant par les mots ce qu’elle ressent pour le comprendre.

La vie alors, et pas seulement l’écriture, devient matière. Pour parvenir à dire ce qui est indicible, elle a inventé d’autres manières (structures narratives, outils) d’entrer dans le récit. L’usage de la métaphore n’est pas artificiel : elle vient du ressenti, elle vient du corps. Mettre cela en pratique dans sa vie, comme dans l’écriture, est une vraie expérience. On ouvre littéralement des « grottes » comme elle aimait à les appeler, dans son écriture et aussi, dans sa vie et celle des personnages. Le style indirect libre est une sorte de caméra qui permet d’être à l’intérieur et à l’extérieur, le passé et le présent. C’est un outil que l’on utilise souvent, dans l’écriture, mais inconsciemment. En le comprenant mieux, on l’écrit et on l’éprouve pleinement. Écrire et vivre en 3D, c’est la modernité de Virginia Woolf !

Que l’on vive une expérience, pas seulement un apprentissage littéraire.

Comment les participants se saisissent-il de l’univers de Virginia Woolf ?

Certains la découvrent, d’autres la chérissent, d’autres encore en ont peut-être peur ! N’oublions pas ce célèbre titre de film, Qui a peur de Virginia Woolf. Oui, elle fait un peu peur, si l’on voit en elle, le génie neurasthénique, au style parfois ampoulé. Une snob. La découverte des différents pans de son œuvre (lettres, journaux, autobiographie, essais) permet de mieux la connaître. De s’en faire une amie, une compagne de papier, car elle est drôle, impertinente. On a aussi le droit de la critiquer, comme l’a fait d’ailleurs Lidia Yuknavitch⁠ dans l’un de ses romans.

Mrs Dalloway, illustrée par Vanessa Bell, 1925

Quand j’anime une résidence, ou un stage en présentiel, j’apporte toujours avec moi une caisse de livres de ma bibliothèque personnelle (son œuvre et aussi des biographies, des essais) qu’il est possible d’emprunter. Puis on en parle, de manière vivante, sans complexe. Les thèmes de ses livres sont aussi matière à discussion, qu’est-ce qu’un lieu à soi aujourd’hui ? Quel est son héritage ? La question du genre par exemple. J’ai participé à une conférence à Leeds, sur l’héritage de Virginia Woolf. Et j’étais frappée par la diversité des recherches autour de son œuvre, qui ouvre sur des sujets contemporains – féminisme, genre et transgenre.

Ce stage sera-t-il orienté sur la construction d’un roman, de nouvelles ou de fragments ?

 

Mes propositions permettent de faire le tour des différentes formes dont Virginia Woolf s’est emparée et à la manière dont elle incorporait l’écriture à sa vie. Nous expérimenterons bien sûr, les outils qu’elle a inventés pour s’approprier les sensations, dépoussiérer le roman, lui ôter sa rigidité. Il y aura de la place pour la fiction, pour la non-fiction. Et surtout pour l’incursion : comment dire l’intériorité, comment l’écrire ?

« Écrire, c’est découvrir une partie de soi qu’on ne connaissait pas. L’atelier accompagne cette exploration, c’est l’ouverture de tous les possibles. »

Quels auteurs d’aujourd’hui sont à votre avis des héritiers formels de Virginia Woolf ?

J’ai plutôt envie de travailler par affinité, plutôt que par héritage formel. Aujourd’hui, je pense à la Nancy Huston de Une adoration, à Nina Bouraoui, à Léonor de Recondo, à Laurent Mauvignier.

Pouvez-vous nous citer une phrase de Virginia Woolf en conclusion ?

Celle qui m’habite en ce moment, qui est aussi le titre d’un recueil de ses lettres : « ce que je suis en réalité demeure inconnu ». Et l’inconnu, c’est une aventure humaine, un territoire à explorer, par le biais de l’écriture.

Merci Astrid de Laage

DP

Plus d’informations sur ce stage ici

Pour aller plus loin, article sur la correspondance de Virginia Woolf et Vita Sackville-West

Extrait : « Un roman, pour être bon, doit apparaître, avant qu’on ne commence à l’écrire, comme quelque chose, précisément, qu’on ne peut pas écrire : quelque chose qu’on peut seulement voir ».

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