Franck Secka est l’auteur de plusieurs romans, ainsi que de contes et de nouvelles pour la jeunesse. Il est également graphiste et animera pour Aleph-Écriture : « Écrire à Vienne » du 16 au 20 août 2021. Une ville emblématique de la culture puisqu’y est l’idée d’une Europe des écrivains avec Stephan Sweig.
L’Inventoire : Stephan Sweig commence à rédiger à Londres en 1934 « Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen ». Il le terminera au Brésil en février 1942. Aujourd’hui, alors que l’Europe peine à se constituer en force politique, que reste-t-il de cette Europe des écrivains ? En voit-ton encore les traces à Vienne ?
Frank Secka : Je ne crois pas beaucoup à l’incarnation persistante de tel ou tel auteur dans les lieux où il a séjourné. L’idée est séduisante mais, au fond, je la trouve assez artificielle. Ceci-dit, Zweig, mais aussi Schnitzler, Joseph Roth, Thomas Bernhard… auront leur place dans notre parcours. La musique étant inséparable de l’histoire de Vienne, il sera aussi question de Mozart, des Strauss… mais je ne voudrais surtout pas que cet atelier ressemble à un empilage de références culturelles, ce n’est pas du tout mon propos. Je souhaite au contraire que n’importe quel écrivant puisse se livrer à son apprentissage personnel de la Vienne contemporaine, quelles que soient ses propres références, afin d’en livrer un témoignage intime et vivant.
Ce qui demeure présent dans cette capitale où nous déambulerons, ce sont les ruptures historiques d’entre la somptueuse Vienne impériale du Ring qui, d’une certaine façon, prend fin avec l’épisode romanesque de Mayerling, la Vienne socialiste, ses remarquables espaces de vie communautaire et, bien sûr, les sublimes intrusions architecturales du mouvement Sécession, élégantes, épurées, comme celles d’Otto Wagner, sans compter les délires, plus tardifs, du fantasque Hundertwasser.
Je souhaite au contraire que n’importe quel écrivant puisse se livrer à son apprentissage personnel de la Vienne contemporaine, quelles que soient ses propres références, afin d’en livrer un témoignage intime et vivant.
Pouvez-vous nous citer un des textes d’inspiration que vous utiliserez pour faire écrire des nouvelles?
Curieusement, il me semble souvent plus inspirant, pour écrire en atelier, de regarder des images — plus inspirant que la lecture, qui, parfois, paralyse. Les images invitent et celles-ci ont une place fondamentale dans notre capitale. Déambuler parmi les époustouflants dessins de Dürer à l’Albertina, parmi les corps sublimés de Klimt et l’érotisme, plus frontal, d’Egon Schiele au Leopold ou à l’Oberes Belvedere, voir — en vrai — le Jugement dernier de Jérôme Bosch, traverser la salle X du Kunsthistorisches où sont réunis non moins de douze toiles de Bruegel (alors qu’il n’en existe que quarante-sept au monde). Vienne est ou sera, de ce point de vue, une expérience bouleversante.
Vienne est aussi très liée à Freud, (sa pratique de la psychanalyse est aujourd’hui particulièrement d’actualité avec le succès de la série « Thérapie »). Utiliserez-vous cette référence ?
Dans un atelier d’écriture créative, il est bon d’avoir une ligne directrice, surtout quand l’ambition de celui-ci, fragment après fragment, est d’écrire une nouvelle longue, construite, originale, intime… Pour Vienne, j’ai choisi Freud. Certes pas pour nous livrer à je ne sais quelle analyse sauvage les uns des autres — bien entendu. Mais parce que nombre de concepts freudiens sont des mines d’écriture, d’inspiration… le lapsus, l’acte manqué, l’inquiétante étrangeté, pour n’en citer que trois. Que le protagoniste de votre nouvelle à venir soit un double de vous-même ou un autre de fiction, celui-ci sera amené à se livrer à une haletante introspection viennoise, à un voyage psychique et romanesque des plus inattendu.
Mais il ne sera pas question que de psyché, fort heureusement. Le corps, à Vienne, est omniprésent. Le saviez-vous ? Vienne est aussi une ville d’eau. Les établissements de bain, les piscines à ciel ouvert, les spas sont intimement intégrés à la ville et, outre le plaisir qu’ils procurent, leur architecture seule, déjà, vaut le détour. Le soleil brille ? Vous trouvez les rues, le métro, désertés ? Ne cherchez pas… les Viennois sont tous en train de se baigner dans l’Alte Donau — le Danube sauvage —, le long de plages immenses avec vue sur la ville, ou dans des lacs paradisiaques, en pleine forêt, à quelques stations de bus du centre. Eh oui… pour bien connaître une ville, il faut aussi savoir s’en éloigner un peu.
Que le protagoniste de votre nouvelle soit un double de vous-même ou un autre de fiction, celui-ci sera amené à se livrer à un voyage psychique et romanesque des plus inattendu.
Je vois qu’on visitera aussi des pâtisseries Viennoises, j’aimerais tellement en manger moi aussi, donnez-nous une adresse ! (au moins je pourrai regarder les gâteaux sur Internet).
Et oui, pour rassasier ce corps, il y a ces grands cafés magnifiques où vous pourrez rester des jours entiers à consulter la presse internationale, à rêvasser, à regarder passer vos personnages pour le prix d’un Einspänner accompagné, si vous êtes gourmand, d’une Sachertorte. Mes préférés — il y en a tant —, ne sont ni les plus grands ni les plus prestigieux ; j’aime beaucoup le Diglas, par exemple, ou encore le Prueckel.
Illustration Frank Secka: Gustav Klimt, Sur le lac Attersee, 1900, musée Leopold, Vienne.
Frank SECKA a publié une douzaine de fictions pour adultes et pour la jeunesse, aux éditions du Rouergue, chez Thierry Magnier, aux éditions Elyzad, et chez Pocket Jeunesse.
Il a réalisé une série d’animations pour Canal +. Il s’intéresse aux techniques narratives depuis les premières conférences parisiennes des grands maîtres anglo-saxons, dans les années 80. Il anime régulièrement des ateliers pour Aleph-Écriture et la Maison des écrivains et de la littérature.