Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire sur lequel il partage chaque semaine ses lectures. Il réalise également des retours sur les manuscrits qui lui sont confiés par Aleph-Écriture dans le cadre des lectures-diagnostics. Il nous parle ici du livre d’Alain Claude Sulzer « Sous la lumière des vitrines » (traduit de l’allemand par Johannes Honigmann, éditions Chambon).
D’où vient le plaisir particulier qu’on éprouve à lire la description de vies sans histoire ? Huysmans ou, dans un registre très différent, Schnitzler ont excellé dans cette veine du roman anti-romanesque. C’est plutôt à ce dernier auteur qu’on pense en lisant le livre d’Alain Claude Sulzer, qui partage avec lui le goût de l’écriture lisse et l’art de laisser entrevoir sous le calme des surfaces l’agitation des profondeurs.
Rien de plus calme en surface que la vie de Stettler. Dans une ville suisse et paisible, il décore, depuis de longues années, les vitrines du grand magasin Les Quatre Saisons, dont l’« entrée principale (…) n’a rien à envier à celle de l’opéra municipal ». Célibataire, notre homme vit seul depuis le décès de sa mère, est âgé de cinquante-huit ans, « s’en ren[d] compte quand il se pench[e] et s’agenouill[e], et parce que tout s’[est] mis à changer autour de lui ». Comme il le constate sans plaisir, réprouvant tant la tenue négligée de ses voisins ou l’évolution de « la mode balnéaire » que l’apparition d’un drapeau vietcong placé nuitamment sur la flèche de la cathédrale. Cependant il se satisfait du succès inchangé de ses créations, en particulier au moment de Noël. Et, par ailleurs, « jamais aucune nostalgie ne l’étrei[nt], aucun besoin impulsif de changement ne fai[t] surgir de sentiments importuns » ; bref, « il [a] la quiétude dans le sang ».
En savoir plus sur Pierre Ahnne:
Pierre Ahnne est né à Strasbourg. Il a enseigné dans l’est de la France et au Lycée français de Moscou. Depuis 1984 il vit à Paris et a travaillé dans un lycée de proche banlieue.
Il a publié plusieurs romans : Comment briser le cœur de sa mère (Fayard, 1997), Je suis un méchant homme (Stock, 1999), Libérez-moi du paradis (Le Serpent à plumes, 2002), Couple avec pistolet dans un paysage d’hiver (Denoël, 2005), Dernier Amour avant liquidation (Denoël, 2009), J’ai des blancs (Les Impressions nouvelles, 2015).