En réponse à notre appel à écriture, « À table », voici un texte et une photographie de Martine Guillo
Le meilleur moment.
À l’aube. Sortir avec un gros peignoir sur la terrasse. L’ombre est encore là. La lumière voilée aussi, un peu. Il fait frais. La maison est endormie. Les voisins aussi. Pas les oiseaux. le rouge gorge, solitaire et intrépide est déjà éveillé. Il jette des trilles depuis le prunier. Il picore, par à-coups, la pomme de pin garnie de graisse. Son garde-manger est plein. Il ne quitte pas le jardin. La tourterelle roucoule dans celui du voisin. Les bruits commencent. Les différents verts de la haie peinent à se dévoiler, il est trop tôt. La rosée a recouvert la table en bois. Il faut jeter sur elle une nappe en lin parce que les lichens ont commencé à la recouvrir. Le lin absorbe la rosée. Le gris de la table en bois me plaît. Le temps s’y est logé, soulevant quelques planchettes. Elle est immense, longue, large, généreuse, stable dans le jardin mouvant.
Je boirai encore mon thé ce matin, là, sur la vieille table, face au Bouddha, perdu dans la menthe, le noisetier, les boutons d’or et les fleurs rose fuchsia, des coquelourdes. Nom étrange qui leur ressemble peu. Je les ai plantées l’an dernier. Elles n’ont pas fait les capricieuses et se sont adaptées tout de suite. Leur couleur vive perce l’ombre laiteuse, je les vois de mieux en mieux, il suffit de les deviner.
Le thé chaud disperse le frisson, les pâquerettes dans l’herbe sont encore recroquevillées et encapuchonnées dans leur chemise de nuit. La maison s’éveille. Demain dès l’aube, je reviendrai.