Pour un art de la disparition. Biarritz / 15-22 février 2020 : Restitution polyphonique de la résidence d’écriture Aleph
La résidence d’écriture, qui a pour objectif l’accompagnement des chantiers de chacun-e, constitue à la fois un dispositif coopératif pour les auteurs ; et un dispositif de formation possible, pour les personnes qui suivent depuis longtemps des ateliers d’écriture et souhaitent finaliser un chantier (recueil, roman, etc.).
Elle « booste » les projets d’écriture individuelle, propose un mode de vie privilégiant le respect de l’écriture de chacun, l’attention à autrui et la coopération.
Elle forme une nouvelle et passionnante tesselle au sein de l’offre d’Aleph-Écriture, complétant les cycles modulaires centrés sur la conduite de projets personnels d’écriture et les accompagnements individuels à la rédaction de manuscrits complets (lectures-diagnostics). La présentation détaillée de ces résidences peut être demandée à Aleph-Écriture (www.aleph-ecriture.fr).
Une série de trois articles écrits par les participants de la résidence d’auteurs de Biarritz permet aux lecteurs de L’Inventoire d’en partager l’essentiel – à défaut, un jour, de le vivre :
- Article 1 : Vers un art de la résidence (lieux et personnages – disparaître – écrire)
- Article 2 : L’affirmation des écritures (faire résidence – résister ensemble à l’auto-effacement – aimer nos chantiers)
- Article 3 : Le partage de l’essentiel (cultiver la bienveillance – faire et recevoir les retours – savoir se compromettre – faire résidence après la résidence)
L’affirmation des écritures
Faire résidence (la vie partagée)
Dialogue avec les palmes
Caressantes
Scrutatrices
Indiscrètes
Dodelinantes
Telles des dames mûres qui n’en pensent pas moins
Leur tête à crête s’inclinent bas jusqu’à la fenêtre ouverte
De ma chambre.
Luisantes dans le soleil
Dégoutantes sous le crachin obstiné
Ailes d’oiseaux sombre en vol stationnaire
Elles se bercent sans fin.
Courbées en éventail avec un plissé soleil vers le ciel
Et, pour la partie inférieure, un effet domino, tous doigts rabattus
Elles font la révérence sans fin et sans objet
Palme du soir
La palme bouge, noire, et ne bouge pas
Seuls ses cils vibratiles palpitent
En ombre chinoise sur la lumière de la fenêtre voisine
Et recompose une autre palme, de clarté cette fois
Une palme qui bouge, claire, et ne bouge pas
Quel négatif pour quel positif ?
Immobiles ce matin
Les palmes tutoient le ciel
Absolument bleu
Pas le moindre frémissement
Et puis si. L’une d’entre elles trémule
Ses doigts flûtés, pointus, serrés.
Ses sœurs acquiescent doucement
Hier soir
Dans la fenêtre noire
Vous étiez noires, palmes absentées
Vous ne m’avez pas dit bonsoir
Pourtant j’ai pensé à vous
En m’endormant
Ce matin
J’observe que l’une d’entre vous a refusé la courbure gracieuse
Jusqu’à l’extrémité de sa lourde chevelure tressée :
Ses doigts au bout se redressent en un éventail terminal
On ne sait s’il faut louer sa dissidence
Ou lui pardonner une infime faute de goût.
Aujourd’hui Il me semble que toi, palme la plus belle
Toi tu as un message pour moi :
La grâce ne viendra que de l’application à parcourir
Toutes les feuilles de ton chantier.
Comme je me courbe, tutélaire et bienveillante,
Sur ta minuscule humanité, là, dans ta fenêtre
Toi, courbe-toi sur ta table.
Travaille !
Ce soir, Orion plane au-delà de vous, palmes,
Comme une grande porte de ciel qu’on ouvrira
Vaille que vaille.
Palmes placides au cou de girafe curieuse
Dans l’air et le chant des tourterelles
Vous pourriez être un cantique
Vous pourriez être une psalmodie
Vous pourriez être le bouquet abandonné d’un moment révolu
Et si vaine serait la tentative de relire les minutes
De vos feuilles, rideaux miroitants
Tirés sur les secrets de nos passages.
(Renée Combal-Weiss)
Six auteurs et l’océan
J’écris
La nuit dans mon lit
Le jour dans mon carnet
Je marche
Droit vers le large de la plage
Des poèmes montent entre les vagues
Des souvenirs s’invitent
Je cueille des images, des sons, des sensations
Six chantiers d’écriture en cours
Et la force du collectif
Je lis, j’écoute, je note, je réponds
Chaque projet est une navigation
Je fais ma part, à l’équipage
On se fait des retours
Sur nos poèmes, nos nouvelles, l’agencement de nos recueils, nos romans,
Ça passe commande, on y retourne
Ensemble dans le même lieu
Pour la densité
Jouer avec le temps : écrire, respirer au bord de l’eau, écrire, lire les textes envoyés par les autres, écrire, boire un café en terrasse, écrire, être à l’heure dans la salle, pour les retours partagés chaque fin d’après-midi
Prendre du bon temps
Sans perdre pour autant le fil de ce qui s’opère en sourdine
Quand on trinque, quand on se régale d’un plat d’encornets
L’écriture poursuit en arrière-plan son élaboration
La semaine est intense, le lieu porteur
On le sait tous : on n’en restera pas là
Cinq lecteurs privilégiés
Qui, après la résidence, attendent de me lire encore
Et dont j’attends les prochains textes.
(Hélène Massip)
Calamars
Fameusement bons en tout cas
Les encornets d‘Astrid
Accompagnés de riz de tomates et
De sauce basque
Arrosés aussi
D’Irouléguy puis de Madiran,
Trois verres de rang ma foi,
Olé !
(Alain André)
Résister à l’auto-effacement – Résider
Voir chez l’autre ceci : le projet de l’année précédente omis, négligé, relégué aux oubliettes, reporté aux calendes grecques, comme qui dirait effacé. Trop difficile, trop triste, les raisons ne manquent pas.
Entendre la voix qui demande : mais… Qu’as-tu fait de ton texte ?
Voir le projet revenir à la vie dans le groupe.
Sentir combien elle est nécessaire, la vigilance. Combien elle est utile contre la difficulté trop déchirante, contre la tentation d’ensevelir le texte dans l’oubli, de l’enterrer dans le « plus tard ».
Assister chez l’autre à l’effort tâtonnant pour boucler le texte-cri, fureur, chaos du dedans.
Être témoin du texte-cri qui prend son envol et prendre part à la joie.
Comprendre que le danger est à l’œuvre en chacun, à tout moment : taire sa voix, en soi-même escamoter le texte. Tout ravaler et se contraindre au silence.
Contrer cela, aller en résidence.
(Marianne Jaeglé)
Petite bêtise
Ce que souffle sans fin
Le fond de la mélancolie
Que ce n’est rien du tout
Une œuvrette insignifiante
Des notes mises bout à bout
Qu’on n’en parle plus
Que ça sorte si ça insiste
Faut bien s’gratter
Là où ça gratte
C’est vrai ça existe
Mais y a même pas
Comme disent les anciens
Des écoles de commerce
Un sujet
« Ce n’est rien du tout
Je n’y attache aucune importance
Juste une petite bêtise moyenâgeuse »
Comme disait Flaubert à Concarneau
Et pourtant ça insiste
Ça demande à exister
Ça fait même pas humblement
Son intéressant
Ça veut vivre
Grandir
Et même fleurir
C’te p’te graine-là
(Alain André)
Langue
Henri Beyle et son code pas tant civil
Richard Millet et ses lettres de Voltaire
Claude Simon et ses périodes proustiennes
Charles Retznikoff et son WCW
Ron Padgett et son Charles Retznikoff
Etc. etc.
Et moi
À quel état de la langue françoise
M’aboucher
Quelle précise conversation renouer
Chaque matin
Peux-tu me le dire
(Alain André)
Aimer nos chantiers. Un œil neuf sur le travail
Avec angoisse
Avec insatisfaction
Avec douleur
Envoyer un texte au groupe parce qu’il le faut
Parce que les autres le font
Parce qu’on s’y est engagé
Attendre alors en tremblant le moment
Où ils diront que ce n’est vraiment pas intéressant
Même s’ils ne le disent pas ainsi
S’attendre à cela donc
Et découvrir que non
Pas du tout
Ce n’est pas du tout ce qu’ils pensent
Pas du tout du tout
Pouvoir alors considérer son texte avec un point de vue autre
Le regarder vraiment
Découvrir que peut-être, oui on tient là quelque chose.
(Marianne Jaeglé)
Retours
J’ai donné un bout de manuscrit intermédiaire
On est en résidence c’est la règle du jeu
Elle a préféré les poèmes les plus courts
Elle a raison
On est en résidence c’est la règle du jeu
Elle trouve (à juste titre) que certains sont trop longs
Ou anecdotiques
Le diapason c’est les réussites archi-brèves
Elle a raison
On est en résidence c’est la règle du jeu
Elle trouve que certains poèmes sont « sympas »
et que je devrais conserver seulement
Les meilleurs
Elle a raison
On est en résidence c’est la règle du jeu
Elle aimerait que certains commentaires de fin
Soient supprimés
Elle a raison
On est en résidence c’est la règle du jeu
Elle aimerait qu’ils ne soient pas supprimés
C’est tellement américain
Elle a raison
(Etc.)
(Alain André)
Je/elles/il/nous/
À Biarritz
je/elles/il/nous
en résidence ensemble.
Une voix sur la plage
souffle la poussière
souffle le pollen
des jours lointains.
À l’horizon
Des ailes, des îles
des jeux d’enfants
aux genoux couronnés.
À Biarritz, en résidence, je laisse le bruit entrer dans ma tête, celui des embruns claquant sur les roches noires.
J’entends l’océan, sa rumeur. Je cherche à écouter la vérité, cachée à l’intérieur de ma carapace de silence.
Il serait si facile de disparaître. Si tentant d’oublier le grand large. Il serait si facile mais elles/il /vous, phares sentinelles signalant le danger, balisent l’écueil à proximité.
Enfouie dans le sable, je ressors mes pattes d’abord puis ma tête ensuite et vers eux je m’avance. En une fraction de seconde, tout redevient stable, chacun à sa vraie place et, baignée de lumière, je me remets en marche.
(Catherine Berthelard)
Cher Amour
Je vous écris pour la dernière fois. Malheureux, vous m’avez si souvent trahie, si souvent abandonnée. Trop longtemps j’ai dépéri devant mes pauvres pages, blanches, déchirées. A force de vous écrire – et d’être sans réponse, vous êtes devenu un rêve inaccessible.
Vous vouliez que je vous aimasse ? A force de vous écrire – et d’être sans réponse, vous êtes devenu un rêve inaccessible. Vous m’avez donné une passion et me l’avez reprise. Je suis revenue de cet enchantement. Souffrez que je vous le dise, je vous ai toujours aimé. Mais je suis entrée en Résidence et je me suis promis un état plus paisible, pour y croire à nouveau et que dans le silence, les mots me reviennent.
Je vous écris, cher Amour, pour la dernière fois.
(Astrid de Laage)
Quand la Résidence
Quand on a quitté son foyer, son conjoint, son enfant, qu’on est monté dans un TGV avec pour destination une ville inconnue ; quand on est descendu à la gare, qu’on a tiré sa valise sur une distance interminable ; quand on est arrivé, qu’on a retrouvé les autres, ceux qu’on connaît déjà et ceux qu’on ne connait pas encore ; quand on a installé ses affaires dans la petite chambre impersonnelle, rangé son pyjama, sortir les trois livres apportés, déballé les quelques provisions prises au cas où ; quand on a appelé ses proches et appris qu’il n’y a vraiment, mais vraiment vraiment aucune raison de s’inquiéter pour eux ; quand on a repéré, lors d’une promenade rapide, les lieux indispensables, le marché, la boulangerie, la côte toute proche où rugit l’océan ; quand on a listé mentalement les endroits où venir rêvasser le stylo à la main, le café qui donne sur une plage minuscule, tel banc au soleil face à la déferlante des vagues ; quand on s’aperçoit que la journée devant soi est vide des obligations auxquelles on se contraint d’ordinaire et que l’étendue faramineuse du temps y est réservée à l’écriture ; quand on a constaté avec angoisse, fureur, désespoir que les autres sont à fond sur leur texte, noircissent page après page, consolident leur projet avec énergie… Alors …
Alors il arrive parfois que mû par l’anxiété et le désir d’exister aussi dans le groupe, contraint d’avoir quelque chose à donner à lire, taraudé par l’inquiétude d’être à la hauteur, griffonnant à la hâte quelques mots dont on ne maîtrise pas le sens, on se surprenne à croire à nouveau à son avenir d’écriture.
(Marianne Jaeglé)
Alain André. Fondateur d’Aleph et référent pédagogique d’Aleph. Conduit des ateliers à La Rochelle. Auteur de romans (Denoël, Thierry Magnier), nouvelles et essais sur l’écriture et les ateliers (Syros, P.U.F.), notamment Devenir écrivain (Leduc.s, 2007 et 2018).
Catherine Berthelard. Conduit ateliers et formations d’animateurs pour Aleph et d’autres structures. Vit sur le Bassin d’Arcachon. Écrit de la poésie et crée des lectures musicales.
Renée Combal-Weiss. Conduit des ateliers pour Aleph à Paris et dans d’autres environnements. Écrit notamment de la fiction autobiographique.
Astrid de Laage. Conduit des ateliers pour Aleph, à distance et en présentiel en Charente-Maritime (Saint-Savinien). Auteure de nouvelles (Funambules, Mon petit éditeur, 2012) et d’un premier roman paru aux Éditions abordables : Le ciel bleu n’est pas photogénique (2018).
Marianne Jaeglé. Conduit le cycle professionnel Roman pour l’AFDAS. Auteur de Vincent qu’on assassine (roman, Gallimard, 2016, et « Folio ») et de Ecrire, de la page blanche à la publication (Scrinéo).
Hélène Massip. Conduit des ateliers pour Aleph à Lyon. Poète, auteure de L’affiloir des silences (Jacques André éditeur, 2016).