Vos textes : Dernières impressions

70de6123c730590a1f3caa7b3bd1978bCette semaine, nous publions les réponses à la proposition d’écriture d’Alain André issue du livre de Siri Husvedt « Vivre, penser, regarder » (Actes Sud, 2013). Aujourd’hui, le texte de Isabelle Dauphin, solaire.

 

Dernières impressions

Avez-vous déjà passé le bout de vos doigts à l’intérieur d’une bogue de marron, d’une cosse de fèves ou dans la cupule d’un gland ? Le doigt suit alors une courbe veloutée, tiède et confortable. Presque langoureuse.

Entre les vêtements et moi, c’est pareil : une affaire de sensation. Quand j’en choisis un, je regarde d’abord l’envers, les finitions, les doublures, puis je caresse le tombé en le faisant virevolter. Tout se fait au toucher, parfois en fermant les yeux. Si le vêtement crisse sous les doigts, s’il accroche, c’en est fini. Il doit faire corps, épouser. Pourtant, il ne sera jamais qu’un contour, comme une ombre portée.

Chaque jour, par commodité et convenance, je m’habille. Sous l’ombre de l’habit  je me sais nue. C’est ainsi que je me connais. Comme dans ces rêves où vous vous apercevez tout à coup de votre nudité, elle n’est pas une gêne, juste une évidence. Moi, sous les robes, écharpes et manteaux, je vois ma peau mes poils ma chair mes muscles et mes tendons. Aucun vêtement, fût-il couleur de temps de lune ou d’or, ne me cache ce paysage familier. J’ignore ce que les autres voient, observent-ils comme moi les reliefs s’accidenter au fil des années ? Ainsi, j’ai connu mon corps baptiste, soie, coton, laine, aujourd’hui chanvre, demain paille. Un jour poussière. Plus il devient dur, cassant et fragile, plus je l’enveloppe de douceur et de moelleux. Je pourrais finir emmaillotée.

Ce moi nu s‘est construit dans le pays chaud de mon enfance, odorant et pierreux. Mes parents étaient naturistes, à ne pas confondre avec nudistes affirmaient-ils, je n’ai jamais vu la différence : nous passions la majeure partie du temps nus au bord de la mer. J’y ai côtoyé des corps triomphants, des lisses, des abimés, des tombants. Tous étaient dévêtus. L’été se passait sans entraves ni maillots. Avant toute chose, j’ai découvert la fluidité de mon corps dans l’eau, la chaleur du soleil sur chaque parcelle de chair, le granulé du sable sous mes fesses, l’effleurement de mes orteils sur les rochers bouillants. Sur les sentiers, ma peau se fondait dans le tapis brun des épines de pin. J’ai vécu comme une sauvage. Sans rien d’autre que la crudité des sensations.

Depuis que je l’habille de tissu, de fourrure ou d’armure, mon vrai moi va nu.

Nu pied, nu tête, et cul-nul. Tout vêtement ne sera jamais qu’un succédané. Alors, quand je serais devenue fibres impassibles,  je voudrais que l’on dépose mon corps nu dans le sol. Pour dernier contact, le rêche du drap, le moelleux du capiton, le frais du bois puis l’humidité de la terre, comme des souvenirs gravés sur une écorce.

Isabelle Dauphin

 Retrouvez les autres textes en réponse à cette proposition d’écriture « ici ».

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