Comme personnage, c’est une extra-terrestre, avec toutes les caractéristiques qui leur sont reconnues : peau pâle couverte de squames, hypersensibilité à la lumière, grandes lunettes et cette façon vieillotte, bleu marine, de se cacher sous les vêtements, avec, lorsqu’elle écrit, le soin du travail bien fait et la féroce volonté d’être précise bien que, je l’ai compris, c’est dans les étoiles qu’elle cherche son inspiration et que le temps est long pour y parvenir et donc je conçois, peu à peu, sans l’accepter cependant, que sa manière d’écrire n’est pas celle des humains et qu’il lui faut, secrètement, monter sur son vaisseau, parcourir un long chemin nocturne, éviter les mille périls que l’espace lui réserve, météorites, nuages crayeux lui saupoudrant les yeux, comètes lui brûlant la peau : voilà le long voyage interstellaire qu’elle a à entreprendre lors de chaque atelier, et personne n’imagine, tandis qu’elle suce l’extrémité de son stylo, comme elle est loin de nous, dans les ardeurs froides des combats cosmiques que son état d’extra-terrestre lui impose, assumés sans tristesse, avec une presque joie dans le regard transparent, et je ne suis pas loin d’imaginer qu’elle n’a nulle conscience de sa nature spéciale ni que l’écriture n’appartient qu’aux humains dépourvus d’écailles argentées pour, comme elle, se protéger des rigueurs, des blessures, des folies et du chaos régnant ici bas.
Claudine Tondreau
Romancière belge, Claudine Tondreau a publié « Paspalum (Le Cri 2003), L’oeil du Crocodile (Le Cri, 2008), Baptista des Caraïbes, prix 2002 du Parlement de la Communauté française).
Elle s’intéresse aux écritures en marge du réel. Elle anime des ateliers d’écriture en Belgique et collabore avec Aleph-Écriture depuis 2011 pour les stages « Reprendre et achever un chantier », « Le réalisme magique » ainsi que « Le fantastique » (programmé pour 2015). Avec Jacqueline Dupret, elle veille sur la rubrique « Récits d’expérience » de l’Inventoire.